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Violences chaudes, violences froides


Rédigé le 27/03/2012 (dernière modification le 26/03/2012)

Violences scolaires, familiales ou conjugales, actes mortellement violents contre les tout-petits, haines ethniques ou confessionnelles, harcèlement sexuel au travail, les manifestations quotidiennes de l’agressivité ne sont-elles pas le reflet d’une violence contemporaine plus diffuse? Violence chaude contre violence froide? Sous la direction de la psychanalyste Joyce Aïn, des cliniciens réputés livrent leurs réflexions et leurs témoignages dans un remarquable ouvrage publié aux Éditions Érès.


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violenceschaudes.mp3 Violenceschaudes.mp3  (1.34 Mo)

Ivre et jaloux, il l’a battue. Sans raison apparente. Elle est tombée sur le sol de sa cuisine, la tête en sang, sans connaissance devant sa petite fille de quatre ans. Il s’est enfui. Violence chaude. Quelques semaines après, dans mon cabinet, une fois assurée de la prise en charge de son enfant devenue étrangement silencieuse après cette scène traumatique, cette femme arachnophile annonce qu’elle emménage de nouveau avec celui qui l’a violemment frappée. Violence froide.

Comment comprendre une société où la violence n’est plus seulement un "mot malheureux ou un accès de fureur sans lendemain" mais "un réflexe, un langage, une manière d’être", s’interroge la psychanalyste toulousaine Joyce Aïn en introduction d’un passionnant ouvrage collectif récemment paru sous sa direction aux Éditions Érès? Comment imaginer, ajoute son collègue René Roussillon, "des formes de maltraitance généralisées contre des enfants comme première cause des violences"? Fruit du dernier "Carrefour" organisé en 2010 sur ce thème entre analystes de différentes écoles, préfacée par le pédopsychiatre et psychanalyste Bernard Golse, cette publication dûment référencée (René Roussillon, Philippe Gutton, Daniel Ajzenberg), éclaire à la fois les manifestations physiques ou psychiques d’une violence quotidienne. Elle vise aussi à expliquer ses ramifications dans "l’environnement social des patients": au point de tirer les analystes hors de leur cabinet pour en faire des "thérapeutes de la crise de la société diagnostiquant l’absence d’avenir comme le mal tenace de notre temps".

René Roussillon établit ainsi une distinction entre "violence" et "destructivité", associant la première à une "mise en acte" mais intégrant la seconde dans une "dialectique" de créativité. Le professeur à l’Université de Lyon II s’appuie sur deux petites notes "testamentaires" de Freud: l’une sur la "répétition des expériences les plus précoces", l’autre sur le lien entre "culpabilité et pulsion inaccomplie". Deux écrits qui posent, selon lui, la question du "devenir de l’expression pulsionnelle" en fonction de la nature fournie par la "réponse" winnicottienne de l’environnement. Le psychanalyste anglais aimait à souligner que l’acte, fût-il transgressif ou délinquant, visait à susciter une réaction de l’entourage. L’absence, dans le premier âge, de ce retour attendu signe la défaillance objectale du "miroir maternel", entraîne la déception primaire du bébé et nourrit la souffrance narcissique identitaire de l’adulte. La violence ultérieure se construit-elle uniquement sur ce sous-bassement subjectif?

Le triste phénomène des 'bébés secoués'

Dans sa contribution intitulée "Des multiples façons de faire souffrir l’autre", Bernard Golse développe, quant à lui, les paradoxes du concept de "maltraitance", et, en particulier, les difficultés à définir les "frontières et les limites" de sa dimension psychique contrairement à ses formes physiques ou sexuelles. L’incestuel contre l’incestueux, le climat malsain contre l’acte criminel. Au-delà du triste phénomène des "bébés secoués", le chef du service de pédopsychiatrie à l’Hôpital Necker - enfants malades de Paris interroge lui aussi la "valence de la destructivité" en rangeant du "côté de la haine" les violences psychiques contre les enfants. Membre fondateur du Collectif "Pasde0deconduite", l’auteur du texte "le rapport Inserm sur les troubles des conduites chez l’enfant ou le TOP des TOP" mentionne en outre les risques d’une "maltraitance scientifique et sociologique" de l’enfance: il s’inquiète des dangers de confusion encourus entre "prévention" et "prédiction" et qui lieraient "hâtivement" symptômes de Troubles Oppositionnels avec Protestation (TOP) et délinquance. Bénéfice du premier, maléfice du second pour Bernard Golse qui dénonce, au passage, le "consensus entre les médias et le grand public pour évacuer la complexité qui nous confronte à la sexualité, à la souffrance et à la mort". Plus généralement, englué dans la "triple culture de l’expertise, de la rapidité et du résultat", l’adulte ne parvient plus, selon lui, à "accompagner l’enfant" dans ses expérimentations et dans la mise en œuvre de ses propres capacités. Après une journée harassante de travail, les parents apprécient les enfants muets, sous contrôle et sagement assis devant le poste de télévision. L’enfant turbulent renvoie trop violemment à ses géniteurs l’image embarrassante de leur propre perturbation.

L'anorexie, la violence d'un corps en trop

Une "violence de vie, violence de mort", selon le psychanalyste Gérard Bonnet pour lequel la vengeance contenue dans la perversion nourrit les "structures inconscientes" du sujet moderne. Un sujet obsédé par sa "survie qu’il sent menacée par sa violence intérieure". Violence vengeresse narcissique, érotisée et froide: elle prétend faire réponse à la séduction originaire selon des "processus de retournement-renversement" en se débarrassant par projection sur "l’autre de l’affect associé à cette violence". Une violence, une "contestation" et un "impossible à supporter", pour Gérard Osterman et Colette Combe dans leur remarquable chapitre sur "L'anorexie, la violence fondamentale d'un corps en trop". Dans la situation d’anorexie, expliquent respectivement le professeur de thérapeutique et la psychanalyste, la production de "cortisol" résultant de l’état de déplétion -la faim- "anesthésie et euphorise pour supporter l’insupportable". Un remède qui devient poison -une violence en soi- susceptible d’être reliée à la "détresse des violences subies" et de se refléter autant dans la "violence exercée par l’anorexique sur sa famille" que dans celle de la famille confrontée à cette maladie de l’un de ses membres.

En liaison avec le triste "réel" de l’actualité, on ne manquera pas aussi de lire avec attention les développements respectifs de Daniel Ajzenberg sur "Une violence qui ne se dit pas" à propos des "identifications fraternelles au groupe" chez les jeunes délinquants en foyer ou en prison, celui sur le "Le ring conjugal: le chaos de la violence" signé de Chantal Zaouche Gaudron et de Pierre Molinier, celui de Tobie Nathan sur "Les stratégies de la terreur, les bases psychologiques du terrorisme, du fascisme ordinaire et de la terreur d’État" ainsi que le texte dédié aux "Violences froides postmodernes" de la société industrielle de Gérard Pirlot. Entre la violence fondamentale, celle qui assure dès la naissance notre survie et garantit notre mode de reproduction et ses avatars monstrueux du quotidien, l’homme semble égaré. Et Joyce Aïn de rappeler pour le regretter: du côté de la vie, "des mots se sont tus", mais, du côté de la mort, "des cris tuent".








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