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Une dynamique laïque dans un Liban confessionnel ?


Par Jean-Luc Vannier Rédigé le 16/05/2011 (dernière modification le 16/05/2011)

Alors que vient de se dérouler, dimanche 15 mai 2011, la deuxième « Laïc Pride » nationale à Beyrouth, la nature et les objectifs de ce « mouvement » continuent de susciter de nombreuses interrogations pour un pays résolument ancré dans le système confessionnel. Qu’en disent ses principaux « animateurs » et quelle est leur stratégie ? Qu'en pensent ses détracteurs? Eléments de réponse au travers de plusieurs entretiens menés à Beyrouth ces derniers jours.


photo: Adeeb Farhat
photo: Adeeb Farhat
Dans un pays où dix-huit confessions religieuses se partagent le pouvoir politique, on ne peut que suivre avec une certaine curiosité la gestation d’un mouvement laïc. Encore que le concept de « mouvement » soit audacieux pour évoquer une simple « dynamique ». De même que le terme « d’animateurs » convient mieux aux jeunes qui refusent d’être taxés de « responsables » ou de « leaders ». Il ne s’agit pas seulement d’une question sémantique : en rencontrant séparément Arabi El Andari, Jounaid Saryéddine, Assaad Thebian et Ali Zaraket, un sentiment contradictoire prévaut : leur volonté d’exister sans trop apparaître et celle de faire triompher des revendications qui doivent rester à la fois extensibles, malléables et évolutives.

Une question fuse immédiatement : spontanéité post adolescente ou véritable stratégie ? A les entendre avouer leur « étonnement » devant le succès -encore relatif- de ce mouvement en faveur de la laïcité au Liban, on pencherait volontiers pour la première option. Entre le « meeting fondateur » du 22 février selon l’appellation d’Arabi El Andari, la première manifestation une semaine plus tard où, « au lieu des 300 attendues », « la présence de 1500 personnes a créé la surprise » pour Ali Zaraket, et l’impressionnant défilé du mois de mars qui comptait, se félicite Jounaid Saryéddine, « entre 20 000 et 30 000 personnes », la « Laïc Pride » s’installe dans la durée.

Même s’ils s’en défendent, ces quatre jeunes partagent pourtant une philosophie générale bien déterminée: leur initiative se doit de surfer sur la vague de la contestation dans le monde arabe, de chercher à faire émerger et à canaliser une demande spécifiquement libanaise laquelle a finalement peu à voir avec les revendications démocratiques, de jouer à fond les réseaux sociaux dans une spirale virtuelle attrape-tout afin de ne pas prêter le flanc aux attaques institutionnelles et aux tentatives de récupération et, enfin, de repousser toute tentation de structurer, de hiérarchiser ou de personnaliser un mouvement dont le fer de lance demeure l’activisme indépendant et inopiné de groupes spécifiquement locaux. Deux tendances s’affrontent déjà au sein même du mouvement : celle des réformistes qui accepteraient de passer par le Parlement pour y faire voter des lois destinées à changer graduellement le système confessionnel et une tendance nettement plus « nihiliste non violente », soucieuse d’une « tabula rasa » de la vie politique libanaise.

Révolte culturelle et degré de conscience

Photo: Carole Atallah
Photo: Carole Atallah
Preuve de leur souplesse idéologique, chacun de ces acteurs voit, si l’on ose dire, midi à sa porte. Partisan, certes un peu isolé, d’une structuration en « raison de l’emballement » du mouvement, Arabi El Andari prône la « déconfessionnalisation du Liban » : une priorité à laquelle s’ajoute « la promotion des droits civils de la personne et la lutte contre la corruption liée au système du confessionnalisme politique ». « La sécularisation du Liban doit conduire, selon lui, à l’abolition des discriminations ». Jounaid Saryéddine quant à lui, décèle dans ce mouvement une « révolte culturelle ». Cet homme de théâtre y voit la marque d’un « questionnement sur les libertés et le régime politique », « l’occasion de briser des tabous et de diffuser une énergie ». Autant d’éléments à même de contribuer à élever le « degré de conscience » des Libanais.

« Je ne suis pas certain qu’il y ait besoin de structurer ce mouvement », insiste pour sa part Assaad Thébian. Sa liste de revendications est plus politique : nouvelle loi électorale qui introduise la proportionnalité, nouvelle loi de citoyenneté notamment pour le mariage, possibilité pour les mères de transmettre une citoyenneté et réforme des procédures d’héritage pour ne plus tenir compte des prescriptions religieuses en la matière. Il réclame en outre plus de « pouvoirs pour les régions ». « La fin du confessionnalisme », certes logique dans cette énumération, ne vient qu’en dernier dans son exhaustif catalogue.

Nettement plus radical tout en conservant un sourire jovial, Ali Zaraket estime que « 30 à 35% de la population libanaise est laïque ». Les « nouveaux visages » qui ont participé à la grande manifestation de mars, « au grand étonnement des communistes » précise-t-il amusé, traduisaient, selon lui, le « dégout de tout » et dénonçaient le « rien qui ne marche » au pays du cèdre. Le mouvement de la laïcité se cristallise, estime-t-il, sur le « sentiment d’impuissance et l’absurdité de la vie politique libanaise ». Y compris la crise économique : un « groupe local » a ainsi pris l’initiative de couper la route vers Damas au niveau de Sofar sans en avertir les responsables et afin de protester contre la flambée des prix du carburant. Partisan d’une « structure déstructurée » et de « cellules décentralisées », le mouvement vise à créer « un espace pour la démocratie », à « promouvoir un Etat laïc, des droits civils et à bannir les armes -et leurs milices » tient-il à signaler- « dans une société civile libre ». Républicain, ce mouvement s’oppose ce qu’est devenu le Liban : une « fédération de confessions ». « L’Etat libanais est illégitime, explique Ali Zaraket, « car il a renoncé à sa propre constitution » : la « légitimité doit venir du peuple et non des religions ». « S’il n’y pas de gouvernement libanais à ce jour, c’est qu’il n’y pas d’argent à voler », assène-t-il avec conviction.

Tentatives d'infiltration et de récupération du mouvement

Photo: Adeeb Farhat
Photo: Adeeb Farhat
Les détracteurs de ce mouvement insistent en général sur deux points : les risques de récupération et de manipulation et, plus substantiellement, le fait que l’institution du confessionnalisme préserve les chrétiens du Liban face aux déséquilibres sur le terrain, notamment face aux armes détenues par le Hezbollah. Sur ce dernier élément, Arabi El Andari « retourne la question aux chrétiens, toujours obligés de s’allier soit aux sunnites, soit aux chiites » : le « confessionnalisme ne les a pas beaucoup défendus jusqu’à présent », « la preuve c’est qu’ils émigrent », affirme-t-il. Quant aux risques de récupération, il cite la tentative d’un député du Hezbollah de prendre part à l’une des manifestations avant qu’il ne soit fermement invité à la quitter : « nous sommes contre toute personne appartenant au système, à un parti, au Parlement ». « Si quelqu’un veut nous rejoindre, il doit d’abord démissionner ». Il n’empêche que le mouvement a dû « adapter » son slogan « contre la chasse et ses armes » lors de sa manifestation à Baalbek dans la vallée de la Bekaa afin de ne pas s’attirer les foudres du Parti de Dieu. D’autres citent également les violences qui ont émaillé un défilé à Byblos où des hommes de la milice chiite s’en sont pris à une journaliste de NowLebanon qui couvrait l’événement.

« Nous avons fait l’objet, précise Jounaid Saryéddine, de plusieurs tentatives d’infiltration destinées à nous faire changer nos slogans » ou de les orienter uniquement, comme le souhaitait Nabih Berri, vers le « confessionnalisme politique ». D’où notre décision d’ajouter à notre « non au confessionnalisme politique » la mention supplémentaire : « et à ses symboles ». Invoquées au nom de la « résistance », les armes du Hezbollah deviendraient, selon lui, « citoyennes » dans un système laïc. Souvent cité dans les arguments, le TSL perdrait également sa raison d’être : il serait remplacé par un Tribunal chargé de juger « tous les criminels de guerre du Liban ». « Le TSL ou les armes du Hezbollah visent à détourner l’attention des vrais problèmes », rappelle de son côté El Andari. « La présence du Hezbollah et l’existence du TSL résultent de l’absence d’Etat » pour Assaad Thébian. Ali Zaraket est, quant à lui, sans pitié pour la milice chiite qualifiée de « mouvement fachiste qui a pris la culture chiite et l’a transformée en une discipline politique afin de changer la société ».


Si rien n’indique que ce mouvement va perdurer, aucun élément ne permet non plus d’affirmer qu’il va disparaître. « On n’a pas encore trouvé le bon slogan, regrette Jounaid Saryéddine, car « la laïcité n’en est pas un ». « Il ne faut pas chercher pas un slogan » lui répond en écho Ali Zaraket : celui-ci émergera « naturellement ». C’est peut-être dans cet énigmatique paradoxe des pluralités d’intentions que réside le secret de la réussite de la laïcité au Liban.
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