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Interview: Rogers Nforgwei


Par Max Dominique Ayissi Rédigé le 20/08/2009 (dernière modification le 21/08/2009)

Interview de Rogers Nforgwei, Représentant de Cambridge University Press en Afrique subsaharienne


'Si vous voulez cacher de l’or à un Camerounais, mettez le dans un livre.'

Interview: Rogers Nforgwei
Quelle est la situation du métier d’éditeur au Cameroun aujourd’hui ?
Le métier d’éditeur au Cameroun est très mal compris de tout le monde, parfois même de ceux qui se disent éditeurs. C’est en cela même que c’est plus compliquer. Parce que ce n’est pas tout le monde qui, en édition, peux vraiment prétendre être éditeur.
Il y en a qui sont purement et simplement des commerçants. Soit ils ont commencé comme fonctionnaires et ont, par la suite, fait de petit bouquins, pour finalement quitter l’enseignement parce qu’ils voulaient se faire de d’argent. Pour moi, l’édition est un métier noble, en tant que partenaire de l’éducation. Sans éditeur il n’y a pas d’enseignement.
Ce métier est mal compris même des autorités publiques. Il n’existe pas de politique qui définisse clairement les intérêts de tous les acteurs intervenant dans le secteur du livre, puisque l’édition englobe beaucoup d’autres métiers (auteurs, illustrateurs, imprimeurs, etc.). Tant qu’on n’a pas une politique du livre, un cadre qui exprime la volonté politique du gouvernement pour régulariser cette industrie, on est comme dans un match de football où il n’y a pas d’arbitre.
Du coup on ne sait plus qui du ministère des Enseignements Secondaires, de celui l’Education de Base, du Commerce ou de la Culture en assure la tutelle. Normalement ce devrait être le ministère de la Culture. Mais pour ce qui est du livre scolaire, les deux ministères de l’enseignement devraient être impliqués, notamment dans la conception et le contenu.
Mais tant qu’il n’y a pas de concertation entre ces ministères, d’une part et avec les éditeurs, d’autre part, même s’il y a quelques potentialités, il manquera encore beaucoup de choses à l’édition au Cameroun. Il faut un réel partenariat Etat-privé, pour permettre aux professionnels du métier de participer à l’élaboration des politiques. On ne peut pas s’asseoir dans son bureau et légiférer sur une industrie qu’on ne maîtrise pas.
Les parents même n’achètent pas les livres. Dans tous les pays, la réussite de l’édition vient du livre scolaire. C’est lui qui permet de gagner de l’argent pour faire les romans et autres livres qui vont soutenir l’édition globale et créer un environnement littéraire. En fait, les gens ne se soucient pas tellement de la qualité de l’éducation au Cameroun.

L’argument de la cherté des manuels scolaires ne vous convainc-t-il pas ?
C’est ce que disent les parents. Mais au mois de décembre, ils achètent bien des cadeaux de 10 000 Fcfa, sans se plaindre. Alors que le prix du livre scolaire est entre 1500 et 2000 Fcfa.

A vous entendre, c’est le chaos total qui règne dans le monde de l’édition au Cameroun.
Effectivement ! Les gens ne sont pas vraiment formés. Il y a même une sorte de ségrégation entre éditeurs locaux et internationaux. Ce qui n’est pas à encourager. Que ce soit sur le plan politique ou économique, l’occident est en avance et se mettre en rivalité avec eux va nous couter chère, à la fois sur le plan de l’expérience, de la technologie et du savoir faire. Pour moi, on est éditeur ou on ne l’est pas.
C’est pareil pour les maisons d’édition internationales qui exercent au Cameroun. Elles ont tout intérêt à collaborer avec les éditeurs camerounais et donc à faire partie d’une association locale des éditeurs. On a beau être en France ou en Angleterre, on fait des produits pour le Cameroun. Dès lors qu’on se met dans deux camps, il n’y a plus de transfert d’expertise.
Une franche collaboration entre les deux groupes, qui ne devraient d’ailleurs en être qu’un seul, devrait avant tout résoudre le problème de la formation. Certes on a eu des situations où des camerounais se sont fait duper par des éditeurs du nord, mais il ne faut pas focaliser sur ces cas là.

Pour vous, tout tiendrait à un manque de collaboration.
Oui ! Mais parfois les éditeurs locaux, qui veulent s’associer aux occidentaux, en demandent un peu trop, alors qu’ils n’ont pas grand-chose à offrir. Ils auraient tout intérêt à commencer par avoir des exigences raisonnables et travailler à s’améliorer, avant de revoir leurs prétentions à la hausse. En réalité, c’est un manque à gagner pour les occidentaux que de parler de partenariat, dans le vrai sens du terme, alors que vous ne leur apportez rien.

Qu’est-ce qui explique qu’un secteur, aussi important que l’édition, soit si peu compris ?
Je crois que c’est un problème de sensibilisation. C’est vos collègues journalistes qui, au moment de la rentrée, passent l’information selon laquelle le livre est cher. Ce qui a un mauvais impact sur les parents.

Faut-il vraiment blâmer les journalistes alors qu’ils ne font que relayer une information qui tient au niveau de vie des Camerounais ?
Je ne sais qui blâmer, les journalistes ou les ministères de la Communication et celui de la Culture. Le livre est un vecteur culturel. Il faudrait pouvoir le faire comprendre à tout le monde à travers une sensibilisation par voie de médias. C’est une mauvaise publicité qui est faite au livre. Vous ne pouvez pas aller au champ sans la machette ou la houe. Comment allez-vous cultiver ?
Il y a aussi que les camerounais comprennent mal l’éducation. Pour moi ce mot s’exprime mieux en anglais. « Education », c’est être cultivé. Alors que, aller à l’école c’est « schooling ». Mais chez-nous on confond les deux. Pour eux, l’éducation commence en septembre et se termine ne juin. Alors que la vraie éducation c’est de janvier en décembre. C’est pour cela que les parents sont tout le temps surpris par la rentrée scolaire. Au lieu de commencer à la préparer en janvier, ils attendent le mois d’août pour courir dans les banques à la recherche d’un crédit.

Est-ce que ce n’est pas trop facile de jeter la pierre aux autres, quand vous n’arrivez pas à vous organisez entre éditeurs ?
C’est vrai ! Entre éditeurs, c’est le règne de l’égoïsme et du soi. Certes le monde est aujourd’hui capitaliste, mais je crois que les camerounais le sont encore plus que les occidentaux eux-mêmes. Tant qu’on vit dans une société, il y a certains de ses intérêts qu’il faut abandonner au profit de la collectivité. Chez-nous, chacun veut être le président de l’association et tirer les ficelles. Les éditeurs ne partagent pas l’information. Ils évoluent en rangs dispersés, ce qui affaiblit leur métier.
Ailleurs, comme en Afrique du Sud, les éditeurs ont un secrétariat qui se charge de diffuser l’information. Mais ici au Cameroun, l’éditeur qui trouve une information qui devrait servir à l’industrie du livre, au ministère de l’Education de Base, au ministère des Enseignements Secondaires ou au ministère du Commerce, la cache systématiquement. Du coup c’est très difficile de faire front commun aux problèmes qui nuisent à l’industrie du livre.

Est-ce que ce n’est finalement pas un problème de réseaux mafieux, comme c’est le cas dans nombre de secteurs porteurs au Cameroun ?
Je préfère dire que c’est un manque de volonté. Peut-être que les camerounais n’ont vraiment pas encore pris la mesure de l’industrie du livre. Vous savez, on a longtemps vécu sous un monopole. Un seul éditeur, du nord, avait tout le marché du livre. Et je ne suis pas sûre que ce dernier ait cherché à avoir des partenaires locaux. Je crois que la société camerounaise ne comprend pas encore l’édition. Avec le temps, ça ira mieux.
Il y a une volonté qui se manifeste au niveau du ministère du commerce par exemple. Mais il est en train de vouloir résoudre tout seul un problème multisectoriel. Un gouvernement est une entité solidaire et une branche ne peut pas agir seul, dans un domaine qui en concerne plusieurs.
Il faut une concertation. Le ministère du commerce ne peut pas résoudre tout seul le problème de l’édition, sans un ministère comme celui des Finances. Les éditeurs impriment, pour beaucoup, hors du Cameroun et doivent s’acquitter des droits de douane. Une concertation permettrait de minimiser la SGS, par exemple, pour être plus cohérent dans la politique de baisse des prix des manuels scolaires. Il faut aussi savoir que l’édition a une vocation sociale. On pourrait donc se passer de certaines taxes, comme c’est le cas dans d’autres secteurs d’activité.

Est-ce que la double culture francophone et anglo-saxonne ne pèse pas un peu sur ce secteur d’activité ?
Je crois que ce volet pèse un peu sur tout au Cameroun et le domaine de l’édition ne fait pas exception. Moi qui vous parle, je suis anglophone mais je n’aime pas me livrer à ces complexités.

Pourtant ce problème est très perceptible au niveau de l’édition au Cameroun.
Chaque fois qu’on essaye de mettre sur pied une association d’éditeurs, les anglophones refusent parce qu’ils estiment que les francophones, étant majoritaires, vont les dominer. C’est des préjugés !
J’ai beaucoup de respect pour ce que j’appelle une minorité qualitative. Même ne représentant que 20%, les anglophones devraient travailler à faire valoir leurs qualités. C’est ce qui est important pour le bien être commun. Rester de son côté sous le prétexte qu’on est anglophone et qu’on ne veut pas être dominé par les francophones ne fait pas avancer les choses. Il faut être uni. Mais cela ne peut se faire que dans la cadre d’une volonté politique de régularisation de l’industrie du livre.
S’il y a par exemple un forum sur les petites industries et que l’on prenne des mesures pour assainir le secteur de l’édition, on va se donner des règles et personne ne pourra plus évoluer en marge. Parce que, chaque fois que nous avons voulu mettre sur pied une association d’éditeurs au Cameroun, ce sont ceux qui ne veulent pas faire de la qualité et qui veulent continuer à travailler dans la corruption, qui créent toujours des problèmes.

Il semble pourtant que ce soit ce type d’associations qui portent le métier sous d’autres cieux.
Si nous étions organisés, c’est l’association qui mettrait sur pied des barèmes de qualité et fournirait aux institutions étatiques une liste de structures viables, fiables et à agréer.
Je vais simplement vous prendre l’exemple du Ghana, un pays où l’association d’éditeurs est très solide. Il y a quelques temps, un éditeur a voulu contourner l’association et obtenu un marcher public d’une valeur de 29 million de dollars. C’est l’association des éditeurs qui s’est plaint, a saisi le ministère de l’éducation et le président de la république a tranché.

Croyez-vous que les concertations qui ont lieu chaque année, à l’avant veille des rentrées scolaires, servent à quelque chose ?
J’ai confiance en le ministre Mbarga Atangana, qui travail à résoudre les problèmes de l’édition. Mais comme je l’ai déjà dit, il ne devrait pas s’y prendre seul. Pour moi, c’est comme soigner les symptômes et non la maladie. Ce que nous disons c’est que les prix grimpent dans tous les autres secteurs (le carburant, les denrées alimentaires, le courant électrique, le gaz domestique, l’eau, etc.). Il est donc difficile d’exiger de l’éditeur qu’il revoit à la baisse les prix de ses produits alors qu’il doit assumer le contre coup de l’augmentation dans les autres secteurs du commerce national.
Et puis, quel éditeur ferait un livre pour le garder dans ses cartons ? Quand on édite, c’est pour vendre. Il serait insensé de produire un livre et augmenter les enchères, puisque les gens n’achètent déjà pas en temps normal. Même s’il y des éditeurs qui sont purement et simplement des commerçants. C’est eux qui se donnent une grande marge en faisant de la mauvaise qualité. C’est ceux-là qu’il faut vraiment chercher à contrôler et je suis sûre que l’Etat les connait.

Est-ce que vous-mêmes, éditeurs, ne pouvez pas être les senseurs de la qualité ?
Nous ne pouvons pas, parce qu’il n’existe pas d’association forte. Puisqu’il s’agit d’un secteur économique libéral. Mais ceux d’entre nous qui ont de bonnes relations, notamment avec des libraires, réussissent à faire échecs à certains malfaiteurs du livre. Mais ces gens là trouvent toujours des voies et moyens de s’installer à leur propre compte et diffuser leurs mauvais produits.
Vous savez, le camerounais est très intelligent. Je pense même que si cette intelligence était mise au service du bien, on ferait beaucoup de choses.

Qu’est-ce qu’il faudrait faire sur le pan institutionnel pour vous faciliter la tâche ?
Il faut qu’il y ait une politique du livre, qui devrait être préparée et adoptée au cours d’un forum réunissant toutes les parties prenantes de l’industrie du livre.

Quel pourrait en être le contenu ?
La politique du livre prend en compte les intérêts de tous les opérateurs et institutions intervenant dans le domaine du livre. Elle devrait définir qui est éditeur et donc qui ne l’est pas.
Pour la première fois, le ministère de l’Education de Base a demandé que tous les soumissionnaires, dans l’édition des livres scolaires, présentent un dossier comprenant une Carte du Contribuable, un Plan de Localisation et la Patente. Il y a des éditeurs qui ont du se désister, parce qu’on ne peut pas les localiser. Ceux dont toute l’entreprise est contenue dans un sac qu’ils baladent avec eux. Il a édité un livre, il y a dix ans et c’est ce qui fait de lui un éditeur.
Je crois que ce forum est imminent. Ce sera l’occasion pour chaque secteur de présenter ses difficultés, pour trouver des solutions qui satisfassent tous les acteurs. Il s’agira aussi de voir quelles sont les dispositions à prendre pour créer, au Cameroun, un environnement littéraire. Tant qu’il n’y aura pas d’environnement littéraire, il n’y aura pas vraiment d’édition digne de ce nom.

Qu’est-ce que vous voulez dire ?
Nous n’avons pas de bibliothèques. Si ce n’est le Goethe Institute ou le Centre Culturel Français. Il n’y en a même pas dans les écoles. Si je vous pends le cas du Kenya, il y existe 25 Bibliothèques Nationales. Chacune d’elles a un budget présenté par la bibliothèque centrale et voté par l’Assemblée Nationale. C’est la preuve de l’importance qui est accordée au secteur. En plus de ce que l’éditeur, qui produit un livre sur un métier par exemple, est sûr de vendre au moins 5 x 25 exemplaires. Chez-nous, si ce n’est pas livre scolaire, vous allez le vendre où ?
Qu’en est-il de ceux qui ne peuvent pas acheter un livre ? Ils ne sont donc pas sensé avoir accès à la connaissance ! C’est le rôle de l’Etat de leur offrir un espace de lecture. C’est des choses qui devraient être définies dans le cadre d’une politique.
Au Cameroun on demande qu’on soumissionne les livres chaque année. Ailleurs, il y a un programme qui est mis sur pied sur une durée équivalente au cycle scolaire. Chaque année, il y a un cahier de charge qui est mis à la disposition de tous les éditeurs, pour un niveau précis, jusqu’à la réalisation de tout le curriculum.
La règlementation camerounaise demande qu’un livre reste sur les listes des manuels agrées sur trois ans, mais on agrée de nouveaux livres chaque année. C’est tout cela qui devra être tiré au clair.

Est-ce qu’il n’y a pas un problème général de culture de la lecture au Cameroun ?
C’est vrai ! Les camerounais cherche à réussir aux examens après quoi, l’école est fini. Combien de parents offrent de la lecture à leur enfant ? Eux qui ont déjà autant de mal leur donner des manuels scolaires.
Quand vous êtes dans un avion ailleurs, il y a au moins une trentaine de personnes qui lisent. Dès que vous prenez la destination Cameroun, on demande plus de la boisson et on est dans les divers politiques. Et s’il y a quelqu’un qui lit, c’est un journal ou ce n’est un camerounais. C’est pourquoi il se dit que, si vous voulez cacher de l’or à un camerounais, mettez le dans un livre.
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