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Elections en Tunisie, le regard d'une franco-tunisienne

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Par Lydia Chabert-Dalix Rédigé le 04/10/2011 (dernière modification le 04/10/2011)

Chadia Jaouadi est franco-tunisienne. Elle fut très rapidement sollicitée lors de la constitution de listes pour les élections des franco-tunisiens, en France, lesquels représenteront leur pays d'origine à l'assemblée qui devrait gouverner la Tunisie dès novembre 2011. Après une longue réflexion Chadia a décidé de renoncer à être candidate. Pour autant, elle prépare activement les élections des 20, 21 et 22 octobre prochains en France. Interview: son point de vue sur une élection post-révolutionnaire.


Illustration proposée par l'auteur
Illustration proposée par l'auteur
Lydia Chabert-Dalix : Près de 500.000 franco-tunisiens vivent en France, la majorité est appelée à voter pour la nouvelle assemblée tunisienne. Quelle idée?

Chadia Jaouadi : Lorsque l'on est Tunisien, on ne perd jamais sa nationalité. On peut vivre à l'étranger, avoir 5 autres nationalités, tout en conservant la nationalité tunisienne. Ces premières vraies élections libres et transparentes depuis l'indépendance - d’ailleurs avant il n’y en avait pas, colonie oblige - sont le véritable prolongement de la Révolution...

Concrètement comment se dérouleront ces élections en France?

En Tunisie il y aura 218 sièges à pourvoir selon la Constituante. 18 sièges sont réservés aux Tunisiens qui vivent à l'étranger. Sur ces 18 sièges, 10 concernent la France ! Le nombre de bureaux de vote en France est important. Quasiment un par département. Les électeurs sont invités à voter soit dans une salle louée par le gouvernement tunisien, soit au Consulat. Cette assemblée composée de 218 élus va nommer un Premier ministre et les membres du gouvernement. S'il y a désignation d'un président je pense que ce sera un titre honorifique. Nous devons d'abord panser les plaies de ces vingt dernières années avec l'ex président que vous connaissez!

Quel peut être le poids de 10 élus vivant en France et choisis par la communauté franco-tunisienne?

Ce sont, en tout 18 personnes, donc 18 voix qui peuvent ensemble si elles le décident, faire basculer une tendance. L’exemple du Sénat en France qui passe à gauche pour 23 sièges est parlant…
Ce qui me pose problème c’est la multitude de partis avec cet énorme risque de dispersion des voix ! Il existe des partis qui se sont très vite organisés* (voir liste des partis en fin d’article). Je crois, par conséquent, que ces élections pourraient être très pertinentes si, parmi ces mouvements, quelques électrons libres parviennent à être élus et à changer la donne.

Qu’entendez-vous par électrons libres?

Des individus non liés à une famille politique! Les hommes et les femmes qui vivent en France ou ailleurs, tout en gardant la nationalité tunisienne et la culture qui va avec ont un peu plus d’expérience sur les enjeux des promesses électorales, sur le poids des institutions. Pour résumer ils ont une culture de la démocratie et de ses travers, ce dont les Tunisiens ont été privés depuis longtemps. Ces Tunisiens de l’étranger possèdent une liberté d’expression qu’ils ont trouvée en arrivant en France.

On a un peu le sentiment en vous écoutant qu’il y aurait une "intelligence" des Franco-tunisiens dont serait dépourvus les Tunisiens qui sont restés là-bas! N’est-ce pas un tantinet prétentieux?

Pas du tout! La Tunisie possède toutes les compétences humaines pour diriger le pays. Ce qu’il manque, à mes yeux, aux Tunisiens qui sont en Tunisie c’est d’avoir été privés de liberté de réunion, de liberté de contestation, de liberté d’expression. La plupart n’ont pas été en mesure, et vous pouvez le comprendre, la Tunisie subissait une dictature, de faire leurs armes politiques et d’accéder à la compétence du scepticisme!
Un exemple: depuis 23 ans, pour faire tourner le pays et on sait aussi que le but était l’enrichissement d’un clan, les prélèvements se faisaient à la source (impôts sur les salaires directement NDLR). Demain, se mettra en place un système différent pour lequel les Tunisiens auront leur mot à dire. Pour financer les projets économiques, politiques, écologiques de développement de la Tunisie et, cette fois pour les Tunisiens, il devra y avoir consensus sur la méthode de financement. Il s’agit d’un enjeu fondamental. Or, curieusement, c’est un sujet dont peu de partis se sont emparés… Un nombre infime de partis précise de quelle manière les projets seraient financés.

La peur d’un intégrisme religieux, au sein du prochain gouvernement tunisien est-elle justifiée?

Oui. Mais il convient de revenir sur un point : Les candidats se sont déclarés le 12 septembre alors que les élections sont au cœur du débat depuis le 14 janvier. Je note que, durant ce laps de temps, certains partis ont distribué des cartables pour la rentrée, proposé des meetings avec, à la clef, un repas offert. Or ceci a été organisé AVANT le financement officiel de la campagne par le gouvernement. Ces actes, destinés à ramasser des voix, se sont déroulés avec des fonds privés… De puissantes personnalités politiques ont fait leur nid dans cet espace post-révolutionnaire. Et, parmi elles, des candidats islamistes au sens extrême du terme.
La donne n’est plus équitable. Certes le temps accordé entre juillet, date initiale des élections, et octobre a permis l’émergence de quelques partis démocrates qui prônent la laïcité. J’ignore si ce sera suffisant pour contrer certains partis extrémistes très organisés et en campagne depuis le printemps. Sans entrer dans la culture de la suspicion il y a là un questionnement fondamental à poser.

Pensez-vous, Chadia, que la Tunisie puisse devenir un état laïque?

La laïcité n'est pas incompatible avec la religion, la Tunisie est une nation musulmane de facto et malgré la répression qui s’est abattue sur les musulmans au plus fort de l’ère Ben Ali les Tunisiens ont conservé leur foi et leur culte!

…Alors un état laïque tunisien est une utopie?

De mon point de vue, la laïcité et la religion ne jouent pas le même rôle, la politique c'est la gestion de toute la nation, la religion c'est le domaine de la spiritualité des cultes, elles peuvent se compléter mais pas se substituer l'une à l'autre. Il serait bon de comprendre que la garantie de confession viendra d’un état laïque avec une constitution qui serait un contrat social pour vivre tous ensemble avec ces différences qui font nos richesses. Je le répète, je crois que seul un état laïque peut permettre cette voie. Un état musulman favoriserait les musulmans et eux seuls! Et les plus pratiquants! Quelle place alors pour les autres? La question est essentielle à mes yeux. (NDLR: Chadia est musulmane profondément croyante.)

Pour quelles raisons les Franco-tunisiens iraient voter? Ils vivent en France dans un état laïque…

Nous retournons tous au bled pendant nos vacances. C’est une irrépressible envie de revoir ceux que nous avons laissés, comme une blessure à soigner et des racines à nourrir. Et nous avons tous le même comportement, nous arrivons les bras chargés de cadeaux. Je propose aux sceptiques une image, je leur dis: "Le plus beau cadeau que tu puisses faire à ceux que tu aimes et qui vivent là-bas c'est ton bulletin de vote. La révolution fut une marche mais c'est maintenant que l'escalier doit conduire la Tunisie au rang qu'elle mérite!"


* Listes indépendantes
Zitouna, Pas de crainte pour l'avenir de la Tunisie, Allons de l'avant, La Voix des Tunisiens des De l’Étranger, Tariq Assalama, Union Nationale, Tunisie Nouvelle Indépendante Solidaire, Fraternité Tunisienne, La Liste Indépendante pour la Souveraineté
* Listes des partis politiques
Mouvement Ennahdha, Parti Ettakatol, Congrès Pour la République, Parti Démocrate Progressiste, Mouvement des patriotes démocrates, Union Démocratique Unioniste, Afak Tounes, Pôle Démocratique Moderniste, Mouvement du Peuple Unioniste Progressiste, L'alternative révolutionnaire , Union Populaire Républicaine, Parti Libéral Maghrebin, Parti Al Moubedra (l'Inititiative)
* Listes non exhaustives
Layla Riahi
IRIE France 2, présidente








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