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Bassin de la Mékrou: Une ressource qui se meurt


Par Rédigé le 27/02/2015 (dernière modification le 27/02/2015)

La rivière Mékrou ne coule plus comme par le passé et son écosystème connaît une forte dégradation. Face à ce constat, plusieurs initiatives ont été entreprises pour sauver cette ressource, essentielle pour les communes de Kouandé, Kérou et Péhunco (2KP). Malheureusement, les communautés à la base rechignent toujours à abandonner la coupe sauvage du bois et autres mauvaises pratiques agricoles qui annihilent tous les efforts de sauvetage.


Photo: M. Tchobo
Photo: M. Tchobo
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Jadis véritable ressource dont tiraient profit les communautés de la région 2KP, la rivière Mékrou ne coule plus comme autrefois. Menacée d’assèchement, sa tête qui lui donne vie, est aussi en danger. "Il y a encore quelques années, dans cette partie de notre rivière, l’eau ne tarissait pas, on y retrouvait toutes sortes d’animaux sauvages et d’espèces d’arbres. Ce n’est plus le cas aujourd’hui", témoigne Ambarka KPAOU, chef du village de Yakabissi, une localité où le cours d’eau prend sa source. Les communautés environnantes se souviennent encore des nombreux services écologiques que leur procurait cette ressource. Mais, peu à peu, elles ont vu leur patrimoine s’effriter. De nos jours, tout autour de la tête, le couvert végétal est détruit, laissant place aux champs et à une vaste étendue de terre sans arbre ni arbuste. "La végétation y était très dense, ce qui justifiait la présence de beaucoup d’animaux: des crocodiles, des buffles, des panthères et autres", témoigne Moussa Yaya, un ancien du village.
Appelée en langue locale batoonou Makrou (Mékrou en français), la rivière que partage les communes de Kouandé, Kérou et Péhunco (la communauté des 2KP) est longue de 410 km. C’est l’un des trois principaux affluents du fleuve Niger au Bénin qui prend sa source à 460m d’altitude environ, sur les flancs des monts de Birni. Le bassin a une superficie de 10.500 km2 dont 5.034 km2 à sa tête. Sur les 24 retenues d’eau disponibles dans les trois communes, 13 appartiennent au bassin de la Mékrou.

Plusieurs constats confirment l’état de dégradation avancée de ce patrimoine de la communauté des 2KP. C’est le cas de l’étude intitulée "État des lieux et gestion de l’information sur les ressources en eau dans le bassin de la Mékrou" réalisée en 2012, qui a permis de tirer la sonnette d’alarme en montrant par exemple que les phénomènes d’érosion et de comblement au niveau de ce plan d’eau sont liés au développement de certaines activités comme les activités agricoles, les activités pastorales, l’exploitation forestière, les feux de brousse, etc.
Contrairement aux anciennes générations, les communautés vivant actuellement dans le bassin s’adonnent à une coupe abusive du bois devenue, au fil du temps, un véritable fléau. L’exploitation forestière se poursuit, atteint et affecte l’intérieur de la forêt de la Mékrou. En dehors de la coupe du bois, plusieurs autres pratiques concourent à la destruction du couvert végétal. C’est également le cas de l’agriculture extensive sur brûlis à laquelle font recours les producteurs pour la culture du coton et des céréales. Avec le temps, ces pratiques ont contribué à réduire considérablement les superficies des deux forêts classées (forêt classée des collines de Kouandé et la forêt classée de la Mékrou) à l’intérieur du bassin.
Dans une étude portant sur "Conception d’un système de suivi écologique de la tête de bassin de la rivière Mékrou au Bénin" présentant l’évolution de l’occupation du sol de la tête de bassin de la Mékrou entre 1998 et 2014, l’analyse est sans équivoque: "Vu la vitesse d’occupation des terres, si rien n’est fait pour stopper ce phénomène, la tête de bassin de Mékrou perdra la totalité de ses ressources naturelles à très moyen terme".

En effet, en quête de terres fertiles pour plusieurs cultures, les communautés prennent d’assaut les berges du cours d’eau. C’est le cas dans la commune de Kérou. Une situation que dénonce le Représentant du Centre d’Action Régionale de Développement Rural (CARDER) de la commune de Kérou, Moubarack Abdoulaye: "Les gens vont même jusqu’au niveau du lit pour couper et installer des champs pour la riziculture". A ces mauvaises pratiques agricoles et d’occupation anarchique des zones humides, il faut ajouter entre autres, les feux de brousse précoces par les éleveurs ou encore la recherche aurifère sur le lit de la rivière, qui dénudent les terres provoquant ainsi une forte érosion et le comblement du cours d’eau.

Pourtant, les liens entre la forêt et l’eau sont évidents et plusieurs experts et documents l’ont toujours démontré: les bassins versants boisés fournissent un important pourcentage de toute l’eau utilisée pour les usages domestiques, agricoles et industriels. La disponibilité et notamment la qualité de l’eau sont fortement influencées par les forêts et dépendent, dès lors, de leur bonne gestion. La quantité d’eau qu’absorbent les forêts revêt aussi une importance cruciale, du fait, en particulier, que les forêts plantées pour la fixation du carbone, l’énergie et l’approvisionnement en bois et la restauration du paysage font l’objet d’une attention mondiale croissante.

Les autorités impuissantes face à la déforestation

Evolution de l'occupation du sol au niveau de la tête du bassin entre 1998 et 2014
Evolution de l'occupation du sol au niveau de la tête du bassin entre 1998 et 2014
La législation béninoise est pourtant claire: toute occupation des berges est interdite sur une distance de 25 mètres de part et d’autre des cours d’eau. Mais à ce jour, il n’y a personne pour la faire respecter correctement.
Pendant ce temps, ce phénomène de déboisement se poursuit tant les tentatives pour y mettre fin ont échoué. "Tout le monde le sait, c’est ici qu’on vient chercher le bois pour différentes destinations au Bénin. Entre temps, nous avons tenté de bloquer toutes les sorties, mais d’autres sorties se créent. Et quand les trafiquants sont arrêtés, ils reviennent toujours", se désole l’agent des eaux et forêts, Saidou Affo. Dans une interview parue dans le Municipal du 26 septembre 2011, le maire de Kérou, Dafia Abiba Ouassangari s’alarmait en ces termes: "Nous n’avons plus de forêt classée parce que tout a été détruit… Si depuis longtemps la lutte contre la déforestation n’a pas porté ses fruits, c’est parce que ceux qui sont chargés de la faire sont devenus, avec le temps, les chefs de file des exploitants". Dans ces conditions, le combat mené pour freiner la déforestation est devenu vain parce que, argue Mme le Maire de Kérou, les agents des eaux et forêts, les élus comme les communautés à la base, sont tous montrés du doigt. Depuis, le phénomène gagne en intensité. Les tentatives de répression comme celle des jeunes de la commune de Péhunco visant à empêcher les exploitants de sortir du bois de leur territoire, n’ont pas porté leurs fruits. Dans une affaire qui l’opposait aux exploitants du bois, la commune de Péhunco a même été condamnée en 2011 par le tribunal de première instance de Natitingou à payer des dommages et intérêts d’un montant de 78 millions de francs CFA et à restituer le bois saisi.

Pour beaucoup, cette pratique continue de coupe "sauvage" du bois, éloigne tout espoir de restaurer le couvert végétal fortement dégradé. C’est l’avis du représentant du CARDER, Moubarack ABDOULAYE qui ne cache pas son amertume: "Nous sommes dans un milieu où on fait la coupe abusive du bois. Et ici, on fait le reboisement. Est-ce qu’on ne prêche pas dans le désert"? La problématique reste donc toute entière. Selon une étude du Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE), publiée en novembre 2014, les coûts économiques engendrés par la déforestation sont quatre fois supérieurs aux gains que rapporte l'exploitation forestière. De plus, il est plus facile de couper des arbres que d’en planter puisqu’il faut ensuite attendre plus d’une vingtaine d’années pour les remplacer.
En dehors du déboisement dans ce bassin qui noie tous les efforts de restauration du couvert végétal, le reboisement est confronté aussi aux feux de brousse incontrôlés pratiqués par les chasseurs à la recherche de gibiers. Là-dessus, si les communautés autour de la tête du bassin abandonnent progressivement cette pratique, ce n’est pas le cas de celles des communes voisines de Copargo et de Djougou. Pointées du doigt, ces communautés sont accusées chaque année, à la même période de chasse, de mettre le feu partout où elles passent. "Les chasseurs de Djougou sont têtus. C’est eux qui viennent mettre le feu dans nos champs. Le problème est même allé à la préfecture mais ils continuent", se désole Jacob ASSIKA, un habitant du village de Yakabissi. Pour les uns comme pour les autres, ces feux de brousse constituent indéniablement l’une des principales menaces des jeunes plants souvent mis en terre dans les sites reboisés. Déjà, en 2013 près de la moitié des plants mis en terre sur le site reboisé de Yakabissi autour de la tête de bassin sont partis en fumée.

Des initiatives de protection à rude épreuve

Photo: M. Tchobo
Photo: M. Tchobo
Sur la base des études commanditées par l’Ong belge Protos et le Partenariat National de l’Eau du Bénin (PNE-Bénin) en 2012, le PNE-Bénin a lancé une initiative pilote de gestion intégrée de la tête du bassin de la rivière Mékrou. Démarrée en 2012, elle a contribué à l’éveil de la conscience collective autour des défis et enjeux de la protection de la tête de bassin.
Dans ce cadre, plusieurs activités ont été menées pour la préservation et la protection de la tête du bassin. Avec la participation de la mairie de Kouandé et des populations riveraines du site, le projet a favorisé la délimitation d’une zone d’au moins 35 mètres de rayon sur une distance d’environ 3600 mètres comme zone de protection de la tête de bassin soit environ une superficie de 25 ha. Dix mille plants ont été mis en terre sur une superficie de 9 hectares (ha) dans les parties déboisées de la zone délimitée et un plan de communication a été élaboré pour poursuivre la sensibilisation des communautés. Un comité de suivi de l’initiative pilote regroupant tous les principaux acteurs impliqués, a été mis en place pour veiller au respect des mesures prises. Fruit de la sensibilisation réussie auprès des autorités locales, le conseil communal de Kouandé, a marqué sa volonté de poursuivre le reboisement sur fonds propres de la commune. "Au niveau de la mairie, nous nous sommes dit qu’il faut orienter le budget de reboisement dans le cadre de la journée de l’arbre (célébrée le 1er juin de chaque année) vers ce site sur les cinq prochaines années", a confié le Chef service Affaires domaniales et environnementales de la mairie de Kouandé, Mama Lawani Bio Kakpo.
Un peu plus loin, dans la commune de Kérou, le reboisement est également à l’ordre du jour. Là, c’est le projet "GLEaube" de l’Ong belge Protos qui a lancé l’initiative. Contrairement à ce qui a été fait dans la commune de Kouandé, la mise en terre des plants s’est effectuée dans les champs privés des producteurs installés le long de la berge de l’affluent du cours d’eau principal appelé "Dama koka". Après les séances de sensibilisation qui se sont déroulées en février 2013, 12.500 plants ont été mis en terre dans le village de Bonni et les hameaux de Wanwarou et Makrou. Trois producteurs ont accepté de reboiser leurs champs bénéficiant ainsi de 2.500 plants dont 1.250 de Gmelina arborea et le reste en Manguier (Manguifera indica) et caïcédrat (Khaya senegalensis). Enfin, l’étude "État des lieux et gestion de l’information sur les ressources en Eau dans le Bassin de la Mékrou" a été largement diffusée ainsi que ses résultats et recommandations à l’occasion d’un atelier d’échanges avec tous les acteurs et usagers, tenu le 7 novembre 2014 à Péhunco. Cette activité a été suivie d’émissions interactives dans les radios communautaires afin de mieux sensibiliser les populations des 2KP et de les amener à mieux appréhender les enjeux économiques et les risques de pollution et comblement du sous-bassin de la Mékrou. Enfin, des posters ont été conçus pour contribuer davantage à sensibiliser sur l’état de dégradation avancé du couvert végétal au sein du bassin. L’une des particularités de cette initiative a été la participation et l’implication effective de tous les acteurs du secteur (les mairies et les services déconcentrés de l’eau, de l’agricole, de l’environnement…) et des communautés à la base depuis la réalisation des études jusqu’à l’atelier final d’échanges au terme du projet. Ce processus participatif aura permis de faire prendre conscience aux populations de la situation préoccupante due à la dégradation du bassin. De plus, il a favorisé la mobilisation de celles-ci dans la recherche de solutions durables et idoines de protection qui restent à mettre en œuvre.

On ne peut gérer une ressource que l’on ne connaît pas

Si la déforestation constitue encore un grand fléau malgré les initiatives de reboisement entreprises, la connaissance de la ressource est aussi une préoccupation majeure dans le bassin. Or, "on ne peut gérer une ressource que l’on ne connaît pas", disait le professeur Abel Afouda, actuel président du Partenariat ouest-africain de l’eau (GWP/AO).
Selon l’étude sur "État des lieux et gestion de l’information sur les ressources en eau dans le bassin de la Mékrou" réalisée en 2012, il se pose des problèmes de collecte et de diffusion des informations relatives au suivi de la ressource dans ce bassin.
En effet, l’étude révèle l’insuffisance et/ou la vétusté des équipements de suivi météorologique et hydrologique; notamment un seul poste climatologique situé à Kérou qui appartient véritablement au bassin de la Mékrou et le reste des postes pluviométriques en dehors du bassin mal positionnés donc non fonctionnels). De même, les informations collectées manquent de fiabilité et leur circulation entre les structures nationales en charge de la collecte et du traitement dont la Direction Nationale de la Météorologie (DNM), la Direction générale de l’Eau (DG-Eau), le Centre d’Actions Régional pour le Développement Rural (CARDER) n’est pas une réalité. A l’occasion de la visite des postes pluviométriques de Kérou-centre, organisée dans le cadre de l’atelier d’échanges sanctionnant la fin du projet, l’ensemble des acteurs présents a pu se rendre compte, une fois encore, de l’état d’abandon dans lequel se trouvent ces équipements. Pour la plupart, ils sont exposés à toutes formes de vandalisme et ne servent visiblement pas correctement à la collecte régulière des données.
Pourtant, le suivi hydrologique dans un contexte de changement climatique est devenu un impératif dans ce bassin. Car, plusieurs travaux de recherches montrent que la portion béninoise du bassin du Niger présente des signes de manifestations des changements climatiques. De façon générale, on note une instabilité des phénomènes climatiques. Bien que les phénomènes d’inondation ne soient pas fréquents dans les communes situées en tête du bassin de la Mékrou, les crues de la Mékrou et de certains de ses affluents créent parfois des dégâts. Les données recueillies au niveau du poste pluviométrique de Kouandé de 1932 à 2011 permettent de montrer que la pluviométrie a considérablement diminué à Kouandé et on pourrait généraliser cette même conclusion à tout le bassin. Une réduction de la pluviométrie qui traduit l’ampleur de la sécheresse et de ses effets sur les ressources en eau et particulièrement au niveau de la tête de bassin de la Mékrou.

De plus, les projections des effets du changement climatique convergent toutes vers un constat alarmant. Selon le document "Terre, eau, et forêts: Ressorts d’un développement à l’épreuve du changement climatique en Afrique", du Fonds Mondial pour l’environnement (FEM), "30% des terres africaines sont menacés de désertification et le continent tout entier risque fort d’être durement éprouvé par le déboisement et la sécheresse, mais aussi par la raréfaction de l’eau et l’aggravation de l’insécurité alimentaire". L’avenir est donc sombre pour ce bassin si les initiatives de reboisement et autres mesures de protection ne sont pas durables. Et surtout, prévient le Fonds Mondial pour l’environnement, "en l’absence d’une action intégrée, la dégradation des sols et la désertification hypothéqueront les aspirations au développement de la plupart des pays africains". Le Bénin n’y échappe pas.

Des solutions pour un avenir durable

Dans le cas de la Mékrou, l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie globale de préservation et de restauration de tout le bassin sont indispensables.
Ainsi, pendant que les structures de l’État sont appelées à veiller au non envahissement des berges pour la production cotonnière ou vivrière et ce, selon les dispositions de la Loi N°98-030 du 12 février 1999 portant Loi-Cadre sur l’environnement au Bénin, les acteurs locaux devront fortement s’engager dans les autres projets et initiatives en cours. Il s’agit par exemple, du Projet d’Adaptation de l’Agriculture au Changement Climatique (PACC) qui ambitionne de contribuer à une gestion durable des ressources naturelles, en particulier les eaux et les sols, dans les régions concernées par le changement climatique au Nord du Bénin.

Également, ils peuvent compter sur le projet "L'eau pour la croissance et la lutte contre la pauvreté dans le bassin transfrontalier de la Mékrou" du Partenariat ouest-africain pour l’eau (GWP/AO) qui est un projet transfrontalier concerté dont l'objectif global est de soutenir une croissance économique verte et la réduction de la pauvreté au Burkina Faso, au Bénin et au Niger, à travers la gestion de l’eau dans des zones en développement. Avec ce projet pilote pour le bassin transfrontalier de la Mékrou, les acteurs pourront disposer des outils et des approches de planification pour permettre aux décideurs politiques et aux responsables de l’eau de faire face aux défis complexes liés à la gestion et au développement de la ressource mais aussi à l’aspect transfrontalier.

Seulement, pour l’heure, on en n’est pas encore là. Et en dernier ressort, la réussite de la mise en œuvre des initiatives comme des projets actuels et à venir, dépend fortement de l’adhésion et de la compréhension par les acteurs locaux de l’utilité et de l’importance de ces actions pour la protection et le suivi effectif de la ressource.
Aujourd’hui, le bassin et la rivière Mékrou se meurent. Si rien n’est fait dans les prochains mois pour renforcer les acquis des initiatives de préservation et/ou de restauration du couvert végétal, les communautés dont la survie dépend de l’existence de ce bassin, seront durement affectées. Il est encore temps d’agir.








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