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OPTION POUR L‘INCONNU : Les Occidentaux choisissent la rue arabe


Par Simon Yefou Rédigé le 08/04/2011 (dernière modification le 08/04/2011)

En apportant leur soutien actif aux manifestants descendus dans les rues de plusieurs pays arabes, les principales puissances occidentales ont misé sur un avenir incertain en sacrifiant des dirigeants qu'ils ont pourtant soutenu des décennies durant.


Comme une vague déferlante

Illustration (c) Art-Stok
Illustration (c) Art-Stok
Le 17 décembre 2010, le jeune Mohamed Bouazizi commet un geste de désespoir en s’immolant par le feu à Sidi Bouzid au centre de la Tunisie. Cet acte pourtant spectaculaire aurait pu passer inaperçu car ce n’était pas pour la première fois que quelqu’un se suicidait par le feu en Tunisie. Mais l’appartenance de Bouazizi à une vieille tribu très respectée en Tunisie va donner une ampleur inattendue à cet événement. Lorsque Bouazizi décède le 4 janvier 2011, les manifestations de protestations vont commencer lors de ses obsèques et ces manifestations vont être médiatisées à outrance par la chaine Al-Jazira et d’autres médias internationaux. Incapable de résister à cette bourrasque, le président Zine El-Abidine Ben Ali lâché par l’armée et ses alliés occidentaux fuit la Tunisie le 14 janvier 2011 mettant ainsi fin à 24 années de pouvoir sans partage. Cette vague née en Tunisie va déferler dans plusieurs autres pays arabes.
Cette chute spectaculaire et surprenante du président tunisien va avoir des répercussions dans les autres pays arabes à commencer par le plus puissant d’entre eux, l'Égypte. En effet, le 25 janvier 2011, les manifestants vont répondre massivement à l’appel des blogueurs et autres internautes sur Twitter,You Tube et Facebook en déferlant dans les rues du Caire et d’autres principales villes notamment Suez. C’était le début du processus qui va conduire le 11 février 2011 à la démission du président égyptien Hosni Moubarak mettant ainsi fin à 30 années de pouvoir sans partage.

Les Libyens qui croupissaient depuis 42 ans sous la dictature du colonel Mouammar Kadhafi ne pouvaient manquer de saisir cette occasion historique pour secouer le joug du pouvoir du guide de la grande Jamahiriya. C’est le 15 février 2011 que les manifestants descendent massivement dans les rues de Benghazi, deuxième ville libyenne, pour exiger la libération de l’avocat Fethi Tarbel qui était le représentant des familles des prisonniers morts en 1996 à la suite d’une fusillade intervenue dans la prison d’Abou Salim à Tripoli. Pourtant, la libération de l’avocat ne va pas calmer la situation. Bien au contraire. En effet, répondant à un appel pour une journée de la colère, des milliers de manifestants vont de nouveau descendre dans la rue le 17 février 2011 pour exiger cette fois le départ de Kadhafi du pouvoir. Ni les menaces du guide, ni les arrestations ou les tirs à balles réelles ne vont émousser la détermination des manifestants. Mais contrairement à l’Égypte et à la Tunisie où les régimes en place sont tombés comme des fruits pourris, la situation va être totalement différente en Libye.

Depuis son accession au pouvoir le 1er septembre 1969 à l’âge de 27 ans, le colonel Mouammar Kadhafi a appliqué au maximum la stratégie de diviser pour mieux régner. Tirant à fond sur la corde tribale, dressant les tribus les unes contre les autres, accordant ses faveurs à certaines tribus et les refusant aux autres, le guide libyen a pu bâtir un régime qui n’avait rien à voir avec ceux d’Égypte et de Tunisie. C’est pour cela que les manifestations, la désobéissance et la défection de certains militaires et même la militarisation de la contestation vont se révéler insuffisantes pour faire partir le colonel libyen. Alors que pour l’Égypte et la Tunisie les puissances occidentales se sont contentées de pressions politiques, diplomatiques et économiques, tout cela va se révéler insuffisant pour la Libye où Mouammar Kadhafi avait plusieurs ressources pour se maintenir au pouvoir. C’est pour cela que sur proposition de la France du président Nicolas Sarkozy qui va à cette occasion revêtir le manteau d’un chef de guerre, la résolution 1973 du Conseil de Sécurité de l’ONU autorise la communauté internationale à établir une zone d’exclusion aérienne en Libye ainsi qu’à utiliser tous les moyens pour protéger les populations civiles libyennes contre les massacres du régime en place. Malgré plusieurs jours de bombardements perpétrés notamment par la France, la Grande Bretagne et les États-Unis, le régime libyen tient encore bon et parvient même à faire reculer les insurgés le 29 mars 2011, jour même où se tient à Londres un sommet destiné à montrer l’unanimité de la communauté internationale contre le régime dictatorial et répressif de Mouammar Kadhafi. Face à cette situation il est de plus en plus question pour les dirigeants français et américains d’apporter une aide militaire aux insurgés libyens. Mais le stade supérieur qui consisterait à envoyer les troupes au sol en Libye n’est pas encore envisagé par les grandes puissances de peur d’un enlisement à l’irakienne ainsi que des répercussions qu’aurait sur l’opinion publique occidentale d’éventuels morts de soldats occidentaux en Libye à près d’un an des élections présidentielles américaines et françaises.

LES ALLIES LACHES

Lorsque le président tunisien Ben Ali a été mis en difficulté par les manifestations de rue, on se serait attendu que ses alliés occidentaux qui l’ont tant soutenu dans le passé lui expriment de nouveau leur soutien indéfectible. Contre toute attente, la proposition de Michèle Alliot-Marie d’offrir au président tunisien le savoir-faire reconnu dans le monde entier des forces de sécurité françaises va plutôt soulever un tollé de protestations et même provoquer un petit séisme gouvernemental en France. Pourtant, tout au long de son règne, le président Ben Ali a toujours bénéficié des bonnes grâces des présidents français successifs que ce soit François Mitterrand, Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy. Ce dernier déclara d’ailleurs le 28 avril 2008 à Tunis que mieux valait un régime comme celui de Ben Ali qu’un régime de type taliban qui s’installerait en Afrique du Nord. Le président tunisien a donc abandonné le pouvoir non pas seulement à la suite des fortes pressions internes, mais aussi et surtout parce que ses soutiens occidentaux l’ont lâché.
Arrivé au pouvoir à la suite de l’assassinat de son prédécesseur Anouar El-Sadate le 6 octobre 1981, Hosni Moubarak va diriger l’Égypte pendant 30 ans en bénéficiant de l’appui occidental notamment de tous les présidents successifs américains de Ronald Reagan à Barak Obama en passant par George Bush, William Clinton et George W. Bush. Ce soutien était surtout du au fait que c’est véritablement Hosni Moubarak qui va mettre en application les clauses du traité signé le 26 mars 1979 entre l’Égypte et l’État d’Israël. Devenu le premier et pratiquement le seul pays arabe à reconnaitre le droit à l’existence d’Israël, le régime de Moubarak sera récompensé en recevant chaque année près d’un milliard de dollars d’aide américaine. Cette aide américaine était aussi du au fait que l’Égypte en majorité sunnite constituait avec l’Arabie Saoudite un rempart contre les intégristes sunnites d’Al-Qaïda et les fondamentalistes chiites d’Iran.

De son coté, Mouammar Kadhafi peut être considéré comme un terroriste devenu fréquentable. Depuis son arrivée au pouvoir et surtout dans les années 80, le dirigeant libyen a souvent été impliqué dans plusieurs attentats terroristes en Afrique, en Europe et au Proche-Orient, le plus spectaculaire étant sans doute l’explosion en vol d’un Boeing 747 de la Pan Am à Lockerbie en Écosse en décembre 1988. Après avoir été sanctionné par l’ONU entre avril 1992 et septembre2003, Kadhafi va redevenir fréquentable à telle enseigne que les États-Unis vont rétablir leurs relations diplomatiques avec la Libye en mai 2006. En décembre 2007, le guide libyen était chaleureusement reçu à Paris par son homologue français Nicolas Sarkozy. En août 2010, c’est le président du conseil italien qui le recevait à Rome dans le cadre du renforcement de la coopération italo-libyenne dans la lutte contre l’immigration clandestine.

UN AVENIR INCERTAIN

Un adage dit que mieux vaut un diable qu’on connait qu’un ange qu’on ne connait pas. Les puissances occidentales étaient habituées à traiter avec Ben Ali, Moubarak et Kadhafi quelque diable qu’ils étaient. Ces dictateurs avaient instauré dans leurs pays des régimes totalitaires ne laissant point d’espace de liberté aux opposants. Mais comme ils sauvegardaient les intérêts de ces puissances, elles fermaient alors les yeux sur les violations flagrantes des droits de l’homme. Lorsque la rue arabe se mobilisait pour dénoncer les injustices et les violations des droits de l’homme, les Occidentaux n’y prêtaient aucune oreille attentive. Mais la situation a radicalement changé en janvier, février et mars 2011 lorsque des centaines de milliers de manifestants ont déferlé dans les rues de Tunisie, d’Égypte, de Libye mais aussi du Maroc, d’Algérie, de Syrie, de Jordanie, du Yémen ou de Bahrein. Pour une fois, les Occidentaux ont prêté une oreille attentive aux manifestants dans les rues arabes en exigeant de leurs protégés au pouvoir soit de démissionner, soit d’entreprendre des reformes politiques. Il est vrai que les Occidentaux ont adopté cette attitude parce que les manifestants ont abandonné les slogans qui leur étaient hostiles et que les islamistes se sont soit tenus à l’écart des manifestations soit ont adopté un profil bas. On se demande si ce n’est pas une tactique qui consisterait à cacher ses griffes pour les sortir le moment venu. Le spectre du Front Islamique du Salut (FIS) qui était sur le point de profiter de la démocratie pour arriver au pouvoir et instaurer une république islamique en Algérie hante encore tous les esprits. En cas d’élections libres et transparentes, on se demande si les islamistes comme les Frères Musulmans en Égypte ne dégageraient pas des majorités confortables pour arriver au pouvoir. Bien entendu, il y a l’exemple du parti de la justice et du développement (AKP), parti musulman conservateur arrivé au pouvoir en Turquie par voie parlementaire en 2002 et qui a instauré un régime acceptable. Mais ce qui a réussi en Turquie ne peut pas forcément réussir ailleurs. Déjà en Tunisie, la peur du chaos après Ben Ali s’installe. En effet la dissolution du parti au pouvoir, le Rassemblement Constitutionnel Démocrate (RCD) et la volatilisation des quelques 400 000 personnes qu’employait le ministère de l’Intérieur fait penser au désordre né en Irak en 2003 suite à la dissolution de l’armée irakienne et du parti Baas qui avait amené les personnes concernées à s’insurger contre le pouvoir établi.

En Libye l’après-Kadhafi est aussi l’objet de nombreuses incertitudes. Tout au long de son pouvoir, Kadhafi a toujours été implacable contre les islamistes. Or ces derniers pourraient profiter de l’éventuelle éviction du guide libyen pour tenter de s’imposer. Déjà certaines informations alarmistes attestent qu’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) se serait ravitaillé en armes dans les zones contrôlées par les insurgés libyens, augmentant ainsi les risques d’insécurité en Libye et dans les pays sahélo-sahariens. On peut donc dire que le passage brusque des régimes totalitaires aux régimes démocratiques pluralistes sans transition et sans précautions suffisantes risque de créer des problèmes graves susceptibles de faire regretter par beaucoup les régimes déchus.
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