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Renouer avec la mort, un enjeu capital


Par Rédigé le 18/05/2016 (dernière modification le 18/05/2016)

On ne meurt plus en 2016 comme autrefois. La disparition progressive des rites collectifs, l’allongement de la durée de vie et une certaine difficulté à penser la mort ont profondément modifié le paysage mortuaire français ces cinquante dernières années. De l’accompagnement de fin de vie à la cérémonie funéraire, notre société réinvente peu à peu l’énigmatique passage. Avec des résultats encore mitigés.


La mort se fait de plus en plus abstraite

Photo (c) Jean-Pierre Dalbéra
Photo (c) Jean-Pierre Dalbéra
renouer_avec_la_mort.mp3 Renouer avec la mort.mp3  (188.57 Ko)

Il n’y a plus guère que dans les romans du début du XXe siècle que l’on trouve encore trace des cortèges mortuaires, auxquels participait tout le village. La mort était alors affaire collective, le deuil était porté de manière visible pendant des mois voire des années, et chacun avait veillé un mort au moins une fois dans sa vie, se confrontant directement à l’inéluctable. La dimension collective du deuil permettait à tous de vivre tout en se préparant progressivement à la perte de ses proches et à sa propre disparition. L’individualisation de la société, de nouvelles législations, l’urbanisation, la forte médicalisation des fins de vie, ont bouleversé ces coutumes.

Aujourd’hui on ne va plus à tous les enterrements: ceux des voisins, des cousins éloignés, des vieilles tantes, sont relégués aux oubliettes. Et même quand on déplore le décès d’un proche, il n’est pas toujours aisé de se rendre à ses obsèques: les employeurs ne se montrent pas très conciliants, l’éloignement géographique, fréquent, entraîne des coûts parfois difficiles à assumer, sans même parler des problèmes logistiques (faire garder les enfants, par exemple, qui depuis les années 70 n’accompagnent plus guère leurs parents: on craint qu’ils ne soient traumatisés).

Nicolas a perdu sa grand-mère il y a quelques mois, mais n’a pas pu se rendre à ses funérailles, à son grand regret:
"J’adorais ma grand-mère, j’étais très proche d’elle, et je suis vraiment triste de ne pas avoir pu aller à son enterrement. Je suis prof dans le public et dans mon métier, on n’a une autorisation d’absence que pour le décès de l’un de nos parents ou de nos enfants. Je trouve ça vraiment minable. En plus, comme elle vivait à 800 kms de chez moi, il m’aurait fallu deux jours pour faire l’aller-retour. Je n’aurais même pas eu le temps de participer au repas familial, si j’avais eu l’autorisation d’absence. C’est lamentable" s’insurge-t-il.

La mort devient ainsi de plus en plus abstraite dans nos contrées modernes. Les cimetières ne sont plus guère visités que par les personnes âgées, témoins d’une autre époque où l’on conservait un lien avec ses morts, voire où l’on conversait avec eux. D’ailleurs, les tombes n’ont pas le vent en poupe en France: la crémation devient une pratique de plus en plus courante, avec 32% d’incinérations. Un chiffre qui ne cesse d’augmenter depuis 1975, où seulement 0,4% des obsèques se soldaient par une urne funéraire (source: Planetoscope).


Le tabou de la mort entraîne des deuils pathologiques

Ce manque de contact réguliers et directs avec la mort entraîne peu à peu la population à la considérer comme un tabou. François Michaud-Nérard, directeur général des Services funéraires de la ville de Paris et auteur "d’Une révolution rituelle. Accompagner la crémation", affirme: "La mort est devenue un tabou, c’est la nouvelle pornographie. Il y a quarante ans, un ado pouvait voir des femmes nues dans des magazines, mais il mettait des années pour en voir "en vrai". Aujourd’hui, un ado de 15 ans a vu 20.000 cadavres par les séries, à la télé, dans les journaux. Mais il va peut-être attendre quarante ans avant de voir un vrai cadavre. Moi à mon époque, il y avait la veillée funèbre, on allait embrasser les morts, etc., ce qui semble impossible aujourd’hui. Il y a une surexposition de la fausse mort qui occulte complètement la vraie". Même le mot "mort" fait peur. On parle plus volontiers de "décès", de "disparition", de "départ", comme si le fait d’utiliser le mot "mort" était grossier.

De cette occultation de la "vraie mort" découlent un certain nombre de problèmes, dont le deuil pathologique, de plus en plus fréquent. Jean-Jacques Pujo, accompagnant bénévole auprès des personnes en fin de vie en soins palliatifs, déplore à son tour que "ces pratiques, générées notamment par la crémation des défunts, qui évoluent vers un "petit sacré personnel", et ses drames que l'on consommerait en solitaire, peuvent entraîner des deuils pathologiques, car lorsque les rites ne fonctionnent pas les morts reviennent tourmenter les vivants". Le deuil pathologique se manifeste le plus souvent par une dépression, des troubles de l’humeur ou troubles anxieux.

Selon le Collège national des universitaires en psychiatrie, 10 à 20% des veufs/veuves présentent un syndrome dépressif plus d’un an après le deuil. Il n’y a pas de chiffres actuellement concernant les autres catégories de population, mais Alain Sauteraud, psychiatre, nous met en garde: "La mortalité des veuves et des veufs est doublée dans l'année qui suit le décès. Le deuil d'un enfant est à risque sévère de complications psychiatriques chez les parents qui ont deux à quatre fois plus de risque de décéder dans les deux années qui suivent.

Ce risque se maintient à un niveau anormal pendant 20 ans. Le fait que l'endeuillé soit jeune, ou au contraire d'un âge élevé, favorisent la survenue du deuil compliqué. Les décès par cancer et les décès brutaux (et pas seulement par suicide) sont autant de facteurs de risque de deuil chronique. Plus la relation au défunt est longue, plus le risque augmente. Pour tous ceux-ci, le chemin de deuil a plus de risque de les mener à l'impasse. Plusieurs descriptions de signes désormais très proches qualifient le même phénomène: l'existence d'un "état de manque intense du défunt" qui condamne l'endeuillé à une vie de souffrance et au handicap
".

Du prêtre à l’association, l’accompagnement réinventé

Avec le développement des soins palliatifs, il est désormais possible de mourir chez soi. Mais cela demeure assez rare, malgré une demande croissante des familles. Dans le numéro du 11 décembre 2012 du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de l’Institut de veille sanitaire (InVS), il apparaît que qu’en 2008, 57% des morts se sont produites à l’hôpital, 27% à domicile, 11% en maison de retraite et 5% dans d’autres lieux. En 2014, ces chiffres sont restés équivalents: une étude de l’INED (Institut National d’Études Démographiques) indique que près de 7 hommes sur 10 et 6 femmes sur 10 décèdent à l'hôpital. Si quatre semaines avant le décès, vivre à domicile est de loin la situation la plus fréquente, l’étude révèle que "plus on approche de la mort, plus le maintien à domicile se raréfie au profit de l'hospitalisation".

Ainsi, en un mois, la proportion de personnes hospitalisées fait plus que doubler et le jour de leur décès, 68,7% des hommes et 59,1% des femmes se trouvent à l'hôpital. Si les femmes sont moins nombreuses à mourir en service hospitalier, c’est parce qu’elles forment le gros du peloton de décès dans les maisons de retraite, où elles vivent jusqu’à un âge avancé.

Autrefois, la sphère religieuse assumait l’accompagnement vers les derniers instants, mais très rares sont encore les prêtres qui délivrent l’extrême-onction. Ce sont les associations qui ont pris le relais, dans les hôpitaux aussi bien qu’auprès des familles. La plus connue d’entre elles, JALMALV, existe depuis une vingtaine d’années et s’est développée partout en France. Leur but: agir pour que "le mourant soit reconnu comme un vivant jusqu'à son dernier souffle" et faire évoluer les regards et les mentalités. "Pour que les conditions d'accueil et de soins des malades proches de leur fin changent dans nos pays, ce sont notre regard, nos mentalités et nos attitudes face à la souffrance et à la mort qui doivent évoluer et entraîner un courant d'opinion" expliquent-ils sur leur site.

Bien d’autres associations à caractère laïc œuvrent dans le même sens. Les bénévoles ne manquent pas. Leur rôle a été clairement défini par le Centre National de Ressources en Soins Palliatifs: "Avec l’accord de la personne malade ou de ses proches et dans le respect des soins médicaux et paramédicaux, le bénévole peut proposer une présence et une écoute, respectueuses de l’intimité et de la confidentialité de la personne, de sa famille et de ses proches. Au domicile, il permet également à la famille et aux proches de prendre un moment de répit. Le bénévole d’accompagnement n’est ni un professionnel de santé, ni un psychologue. Il n’a pas d’action thérapeutique. Il n’a pas accès au dossier du patient et ne prend jamais part aux décisions d’ordre médical".

Cécile, retraitée dynamique de 73 ans, consacre ainsi plusieurs heures par mois à cet accompagnement, au sein de l’association Petits frères des pauvres. "Les personnes m’accompagnent autant que je les accompagne. Et c’est drôle, je ne pense pas à leur vieillesse ni à leur maladie. Je suis juste en face de quelqu’un qui est là et qui vit" résume-t-elle. Les formations dispensées par ces associations permettent aux bénévoles d’accomplir un travail que les familles ne savent plus ou ne peuvent plus faire.

Les évolutions de nos sociétés modernes tendent à occulter la réalité de la mort, dans une quête de perpétuelle jouvence qui se manifeste par une hyper-médicalisation de la fin de vie aussi bien que par des innovations technologiques, telles que la fabrication d’organes grâce à des imprimantes 3D. Ce déni de notre finitude provoque des problèmes psychologiques divers, dont l’explosion des troubles psychiatriques témoigne assez. La France demeure le premier consommateur au monde de médicaments anxiolytiques et d’antidépresseurs. Et si, au lieu de nous gaver de chimie, nous réapprenions à penser - à accepter - la mort?









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