A mots couverts


Par Sophie Ong Rédigé le 11/05/2020 (dernière modification le 11/05/2020)

"Tout esprit profond avance masqué".
Friedrich Nietzsche – Par delà le bien et le mal (1886)



Depuis le début de l’épidémie de COVID-19, le discours du gouvernement français au sujet du port du masque a pris plusieurs tournures: d’abord considéré utile seulement pour les personnes malades ou à risque, il devient très vite évident que son port réduit les risques de contamination par voies aériennes. Aujourd’hui, à une semaine du début du plan de déconfinement annoncé par le président E. Macron, il devient préférable, voire obligatoire dans certaines situations.
Si beaucoup de populations des pays asiatiques ont pris l’habitude de porter des masques sur leurs visages au cours de précédentes épidémies, ainsi que pour faire face aux taux de pollution élevés, pour beaucoup d’Européens et d’Américains, le masque est difficile à accepter et a stigmatisé les porteurs de protection du visage qui souhaitaient se protéger et protéger les autres, notant une hausse des réactions rascistes, particulièrement dirigées contre les personnes d’apparence asiatique, aux mois de janvier et février.

Voilà donc à quoi ressemblera le demi-visage de la “nouvelle norme” du monde de l’après-COVID 19: deux yeux et leurs sourcils, des cheveux, et des oreilles qui soutiennent la barricade bleue, blanche ou grise, et plus rien d’autre à quoi accrocher son regard. Fi des nez qui nous définissent tant, des bouches qui nous permettent de lire l’autre, ses paroles et ses émotions. “Quand votre interlocuteur sourit, une part de votre cerveau sourit aussi”, souligne la Fast Company, qui a publié un article étudiant les enjeux de la communication non-verbale. Les émotions véhiculées par le visage sont responsables pour 55% du sentiment total de nos messages, contre 35% véhiculés par la voix et seulement 7% par le language (Albert Mehrabian, Silent Feelings, 1971).

Aux bouleversements liés au télé-travail et à la distanciation sociale que nous devons observer, s’ajouteront maintenant un nouvel obstacle: comprendre ne seraient-ce que les mots exprimés, et y lire l’intention correcte de la personne en face. Selon Peter Cook, “Dans le langage des signes américains, la grammaire de la langue s’exprime dans les expressions du visage”. Il est lui-même sourd et s’engage pour soutenir les sourds-muets, pour qui la communication, dépourvue de lecture des lèvres, s’avère difficile. Le développement des enfants, qui dépend de l’observation et de l’imitation, s’en retrouve également troublé. Certaines solutions émergent, comme celle d’une étudiante du Kentucky: un masque dont une petite fenêtre plastifiée révèle sourires et mouvements de lèvres. A partir du 11 mai, à défaut de faire bouger vos zygomatiques, pensez donc à bien mettre vos sourcis à contribution: ils sont pour beaucoup dans notre communication non-verbale!

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