Aider un enfant à prendre confiance en lui : les conseils de trois grands philosophes


Par Le Podcast Journal Rédigé le 05/06/2021 (dernière modification le 29/05/2021)

Un article de Charles Hadji - Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA). Un article repris du site THE CONVERSATION



Les années 2020 et 2021 auront été, pour les écoliers comme pour les étudiants, des années « chahutées », pour ne pas dire « noires ». Les fortes perturbations dues à la pandémie ont généré beaucoup de stress, provoqué de la détresse psychologique, et fragilisé psychiquement un grand nombre d’enfants, et de jeunes.

Dans ces conditions, les parents peuvent-ils caresser l’espoir de redonner confiance en eux à leurs enfants ? Et comment faudrait-il s’y prendre ? Trois grands philosophes nous paraissent apporter de précieux conseils. Écoutons-les.

Le conseil de Descartes : combattre l’indécision

On retient en général de Descartes qu’il est le philosophe du doute systématique. S’il décide en effet de rejeter « comme absolument faux tout ce en quoi {il} pourrait imaginer le moindre doute », c’est afin de trouver « quelque chose qui fut entièrement indubitable ».

Toute son entreprise est motivée par le « désir d’apprendre à distinguer le vrai d’avec le faux, pour voir clair en {ses} actions, et marcher avec assurance en cette vie ».

Or, si le doute est une nécessité pour la réflexion philosophique qui, dans sa recherche de la vérité, doit pouvoir déraciner l’erreur, il est un obstacle pour l’action, qui « ne souffre souvent aucun délai ». C’est afin de ne pas demeurer irrésolu en ses actions pendant que la raison l’obligerait de l’être en ses jugements, que Descartes s’est doté d’une « morale par provision ». Sa seconde maxime, « être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais », exprime une condamnation radicale de l’irrésolution.


L’irrésolution est la marque des « esprits faibles et chancelants ». C’est en acquérant force et fermeté d’esprit que les enfants prendront confiance en eux. Il faut savoir prendre des décisions, même si elles ne sont fondées que sur des opinions, douteuses par nature ; et les mettre en application, même si cela entraîne des efforts importants, et exige une persévérance qui ne va pas toujours de soi.

On peut commencer simplement, en période de confinement : accompagner son enfant dans l’élaboration d’un emploi du temps, et être vigilant quant à son respect. Il n’y a pas de petite décision, pour qui est capable de la prendre. Et la constance dans l’effort est la clé de la réussite qui donnera confiance.

Le conseil de Kant : miser sur les activités sportives

Kant n’est pas seulement l’auteur des trois grandes Critiques (de la Raison pure, de la Raison pratique, et du jugement) que tout étudiant de philosophie doit avoir lues. Il s’est intéressé à de très nombreux sujets, dont les tremblements de terre, les vents d’ouest, les maladies de la tête, la médecine corporelle, la contrefaçon des livres… et l’éducation ! Ses Réflexions sur l’éducation proposent de solides considérations sur l’entreprise éducative.

On pourrait en retenir une grande règle : l’éducation a pour tâche essentielle de forger la volonté des enfants. Mais cela doit s’entendre de deux façons. La première est de résister aux caprices : « l’enfant devra donc rencontrer de la résistance ». La résistance « naturelle » consiste à ne pas céder. Pour les parents, et les éducateurs, ne pas résister est une « grande faute », car la vraie liberté est le fruit de la culture dont la discipline est une condition. Mais, précise Kant, si « l’éducation doit comprendre la contrainte… elle ne doit pas pour autant devenir un esclavage ».

La seconde façon de forger la volonté est d’offrir des « occasions propices » d’exercer ses « facultés mentales », en luttant contre « l’amollissement ». Cela commence par la culture du corps ! Kant est un farouche partisan d’une sérieuse éducation physique et sportive. Il prône en particulier l’apprentissage de la nage, et la pratique de tout exercice permettant d’acquérir « de la force, de l’habileté, de la vitesse, de la sûreté ».

« Par exemple on doit pouvoir franchir des passerelles étroites, gravir des hauteurs escarpées où l’on voit devant soi le vide, marcher sur un plancher vacillant. Si un homme ne peut faire cela, il n’est pas complètement ce qu’il pourrait être ».

Rencontrer de la résistance, et fortifier et endurcir son corps, sont pour Kant les deux voies privilégiées d’une formation du caractère. de MathDudels.com provenant de Pexels, CC BY

C’est donc en inscrivant ses enfants à des activités (pour autant qu’elles ne soient pas interdites par le confinement !) telles que la natation, la gymnastique, ou l’escalade, qui permettent de lutter contre « la peur » qui « paralyse », qu’on leur permettra de développer leur confiance en eux.

Rencontrer de la résistance, et fortifier et endurcir son corps, sont pour Kant les deux voies privilégiées d’une formation du caractère. Kant rejoint ainsi Descartes, pour condamner l’irrésolution :

« Le caractère consiste dans la fermeté de la détermination avec laquelle on veut faire quelque chose et aussi dans sa mise à exécution réelle… Car un homme qui se propose quelque chose et qui ne le fait pas ne peut plus avoir confiance en soi ».

Il faut aider celui qui a décidé d’une heure pour le lever à s’y tenir, faute qu’il ne finisse « par ne plus avoir confiance en soi ». Comme le dira Alain : « les programmes ne sont pas une petite chose »… quand on les suit !

Le conseil d’Alain : faire éprouver la joie que procure la difficulté vaincue

Le conseil que nous donne Alain dans ses Propos sur l’éducation s’inscrit alors dans la lignée de ce que suggèrent Descartes et Kant. Pour Alain aussi, éduquer les enfants consiste avant tout à « fortifier en eux la volonté ». Mais la volonté n’est pas quelque chose qui se transmet par enseignement. Et les parents ne peuvent pas vouloir à la place de leurs enfants. Que faire, alors, pour développer un « art de vouloir » qui ne se perde plus ?

La solution est de « mettre entre leurs mains leur propre apprentissage », ce qui implique deux conditions :

la première est de les mettre en situation d’activité, car « il n’y a de progrès pour nul écolier au monde, ni en ce qu’il entend, ni en ce qu’il voit, mais seulement en ce qu’il fait » ;
la seconde est de les mettre face à de réelles difficultés, car « l’appât qui convient à l’homme » est « la difficulté vaincue ». Il ne faut pas leur donner « la noix épluchée ».
Ainsi « la grande affaire est de donner à l’enfant une haute idée de sa puissance, et de la soutenir par des victoires ». Victoires qui doivent être « pénibles, et remportées sans aucun secours étranger ». L’idéal est que « l’enfant cherche de lui-même la difficulté, et refuse d’être aidé ou ménagé ».

En tout cas, chaque tâche, scolaire (devoir proposé en ligne, ou par les parents), ou non (ranger sa chambre pour qu’elle devienne un espace propice au travail en distanciel), doit constituer un défi pour l’enfant. C’est-à-dire opposer la résistance d’une difficulté réelle. Mais être graduée, car les efforts à effectuer doivent être proportionnés aux capacités actuelles de celui qui affronte le défi : « calculez l’obstacle de façon qu’il puisse le franchir ».

On s’approche alors de ce qui est peut-être le plus précieux conseil s’agissant de la confiance, délivré par Pagnol dans Le temps des amours, l’un des volets de ses souvenirs d’enfance : « pour que les gens méritent notre confiance, il faut commencer par la leur donner ».


Pour que nos enfants prennent confiance en eux, dans des temps où domine l’incertitude, l’essentiel n’est-il pas de leur montrer qu’on a vraiment confiance en eux, et qu’on les tient pour capables de vaincre les difficultés ? Car, comme l’écrit Alain, « on n’aime point tromper la confiance vraie » !





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