Bénin : des inhumations qui mettent en péril l’hygiène publique


Par Gervais Loko Rédigé le 16/04/2010 (dernière modification le 15/04/2010)

Pour une raison ou une autre, nombreux sont ceux qui préfèrent enterrer leurs morts en dehors des cimetières, notamment à la maison. Le phénomène prend aujourd’hui une certaine ampleur en toute violation des règles élémentaires de l’assainissement et d’hygiène de base.


Une tombe érigée dans une concession à Akpro-Missérété à quelque 40 km de Cotonou. Photo (c) G.L.
Le code de l’hygiène publique de 1987 est clair : l’enfouissement des cadavres d’animaux, de dépouilles de toutes natures et d’ordures ménagères à l’intérieur des concessions est interdit. Conformément à cette disposition, les mairies, compétentes pour gérer les sépultures et les cimetières, ont pris des arrêtés interdisant formellement l’inhumation des corps à domicile. Mais le ver est resté dans le fruit. Le code qui s’est contenté d’interdire, n’indique aucune disposition contre les contrevenants. D’ailleurs, ce code qui, en deux décennies, n’a jamais été publié au Journal officiel, est handicapé par la non prise en compte par les autorités compétentes, des textes d’application.
De plus, les arrêtés communaux qui interdisent la pratique ouvrent quand même une brèche pour autoriser l’opération à condition que les requérants observent une certaine démarche administrative. L’esprit de cette démarche est d’encadrer l’opération pour s’assurer de ce que ses conditions de déroulement ne vont pas mettre en cause l’assainissement public et l’hygiène de base. Dans la pratique, la démarche se réduit au payement d’une somme d’argent. Dans une commune comme Avrankou (l’est du Bénin), l’autorisation spéciale d’inhumation est accordée contre paiement d’une somme de 15000 FCFA (environ 23 euros) payable contre quittance à la mairie. La commune voisine de Dangbo accorde à ses habitants un droit d’inhumation à domicile pour un montant de 75000 FCFA (environ 114 euros). Mais elle ne prévoit aucune amende contre les contrevenants, se contentant de dire que «le non respect des présentes dispositions expose les auteurs à la rigueur de la loi».
Dans beaucoup de communes comme celle d’Adjarra, les populations qui veulent inhumer à domicile sont soumises à l’autorisation spéciale préalable du maire mais on n’indique pas combien cela va coûter.

Constat affligeant

La direction de l’hygiène et de l’assainissement de base n’a pas de chiffre sur l’ampleur des inhumations à domicile ni les conséquences sur la santé publique. Mais son «constat empirique» fait état de «dérives graves dans la gestion par les mairies des inhumations à domicile». Les familles procèdent librement aux enterrements souvent sans la présence d’aucun agent assermenté de la mairie pour s’assurer du respect des règles élémentaires d’assainissement. «Les fosses sont faites sans aucune norme avec tout ce que cela comporte comme conséquence néfaste pour la pollution de la nappe phréatique», constate Henriette Koura, directrice de l’hygiène et de l’assainissement de base. «Dans les localités de bas-fonds, de dépressions, on ne saurait admettre l’inhumation à domiciles, parce que cela peut créer des problèmes de contamination de la nappe phréatique si les tombeaux sont inondés», explique Marc Alabi Egbèlèyè, chef de service des affaires domaniales et environnementales de la mairie d’Akpro-Missérété, à une quarantaine de kilomètres de Cotonou.
Dans un contexte où les causes ayant entraîné la mort sont rarement recherchées, le non respect des normes ou d’une certaine distance par rapport aux sources d’eau par exemple peut transformer une inhumation en un vecteur de graves maladies. Les maires sont conscients du drame : «l’inhumation à domicile n’est pas une bonne chose. On ne sait pas souvent de quoi sont morts les gens et, après ce sont des épidémies par-ci par-là. Et vous allez voir dans certaines collectivités, souvent on souffre et meurt des mêmes affections», déclare Albert Gogan, maire de la commune d’Adjarra. Ce dernier souhaite que l’inhumation à domicile soit réservée à des personnalités comme les rois dont l’enterrement obéit à des rites particuliers. Mais il n’est pas encore arrivé à en convaincre sa population qui préfère contrevenir aux dispositions d’interdiction de l’inhumation à domicile en acceptant librement de payer une amende allant de 50000 à 100000 FCFA (76 à 152 euros).
Derrière le laisser-aller des mairies, on suspecte leur volonté de renflouer leurs caisses. La vérité, c’est qu’elles n’ont même pas le personnel requis pour faire les contrôles rigoureux nécessaires. Les services sanitaires au plan national, par peur d’être accusés d’ingérence dans les affaires locales, laissent faire…
Mais certaines communes n’ont pas eu besoin du holà des services sanitaires pour se mettre dans les rangs. Ouidah (sud ouest du Bénin) a fortement encadré le processus d’inhumation à domicile : elle n’est permise, en principe, qu’à une certaine catégorie de gens (dignitaires religieux, chef de famille, etc.) ; elle coûte la rondelette somme de 300000 FCFA (458 euros) et est soumise à certaines conditions. «La fosse doit être située à 50 mètres d’un puits ; elle doit être couverte pour éviter que l’infiltration des eaux entraîne des effets néfastes pour l’hygiène publique, etc.», souligne Landry Hinnou du secrétariat du maire de Ouidah. Un exemple qui montre que des progrès sont possibles pour préserver la santé et l’hygiène publiques.

Pourquoi à la maison plutôt qu’au cimetière ?

L'abandon dans lequel végètent certains cimetières, comme ici à Dangbo, explique parfois les inhumations à domicile
Le choix des gens d’enterrer à la maison les corps de leurs proches décédés est culturel voire cultuel. «Il est de tradition d’enterrer les morts de la famille sur les domaines de la collectivité familiale. Ceci pour conserver sans doute la cohésion familiale et la pureté des liens et de communauté de destin qu’il y a entre les vivants et les morts de cette famille», explique Solange Mensah, sociologue. D’autres inhument à la maison pour des raisons purement affectives : il n’est pas question de mettre l’être cher dans la brousse, le champ, au cimetière exposé aux intempéries, à la pluie ou à la rosée. «Dans la tête de beaucoup de gens, les morts ne sont pas morts. Celui qui est mort reste un membre à part entière de la maison. Le corps enterré est même élevé au rang de dieu et devient un intercesseur pour la famille. On continue de nourrir le mort en déposant sur sa tombe de quoi manger, du moins pour un certain temps. En cas de difficulté, on fait un tour sur sa tombe pour faire une petite prière. Le 1er novembre de chaque année, la tombe reçoit l’éclairage d’un cierge», explique Apollinaire Oussou Lio, chercheur en développement culturel.
L’inhumation à domicile est également utilisée comme élément de preuve de propriété foncière, particulièrement efficace dans les conflits domaniaux. «Lorsqu’un mort est enterré dans sa maison, personne ne peut le vendre ou en jouir illégalement contre la volonté de la majorité», souligne Roger Tovihéhou de la mairie d’Adjarra.





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