"Certains psychologues ont dû vider leurs bureaux afin qu’ils servent de chambre mortuaire pour entreposer les corps"


Par Rédigé le 31/03/2020 (dernière modification le 31/03/2020)

Laura (le prénom a été modifié en raison de l'anonymat), 25 ans, psychologue dans un EHPAD, fait partie des personnes au coeur de cette crise sanitaire sans précédent. Les personnes âgées semblent être les sacrifiées de ce combat meurtrier. Laura revient pour nous sur les situations catastrophiques dans les EHPAD et le manque d'aide du gouvernement dans cette gestion de la crise.


Que pensez-vous de la situation actuelle ?
Cette catastrophe sanitaire n’est autre que le résultat de politiques basées sur le manque de matériel et l’incapacité des soignants à exercer correctement. A titre d’exemple, 100 000 lits ont été supprimés en 20 ans, dans une seule logique de rentabilité. Le personnel soignant n’a cessé d’avertir depuis des années sur la gravité de leurs conditions de travail et l’accès aux soins. Nombreux salariés d’EHPAD se sont mobilisés en 2018 afin de témoigner de leur sentiment de pratiquer une maltraitance institutionnelle. Le retour du personnel soignant est négligé aux yeux du gouvernement. Les dysfonctionnements de l’hôpital public et des EHPADs sont considérés comme partie intégrante du fonctionnement ordinaire du système de santé.

Quel est le climat ambiant dans les EHPADs pour les soignants ?
Face à cette catastrophe sanitaire, l’Etat a une nouvelle fois, favorisé les impératifs budgétaires, en refusant l’accès aux tests à toutes et tous, en raison du coût élevé. En maison de retraite, nous, ne sommes pas testés alors que nous prenons en charge une des populations les plus vulnérable. Ainsi, nous assistons à des scènes désespérées où le personnel ne cesse d’être angoissé de contaminer les résidents et d’avoir peur pour leur vie et celle de leurs proches.

Et vous dans tout ça, quel est votre rôle ?
L’enjeu principal pour chacun des soignants est de tenir le coup, de ne pas craquer. C’est pourquoi l’un des rôles du psychologue en institution est de travailler avec l’ensemble des professionnels pour développer leur résilience. En psychologie, la résilience est la capacité à surmonter les moments très difficiles et à se développer en débit du stress. Travailler sur la compassion, la régulation des émotions et explorer comment l’humour, la créativité peuvent s’inscrire comme de véritables vecteurs de renforcement de cette capacité sont selon moi des pistes à exploiter face à l’accompagnement des soignants dans cette épidémie. Mais le glissement de tâche, depuis deux semaines, ne permet pas de proposer un accompagnement psychologique de qualité. La distribution des repas en chambre, la stimulation pour la prise alimentaire, les rendez-vous des familles en visio-conférence, les activités individuelles en chambre, les balades à tour de rôle dans le jardin rythment nos journées au détriment de la prise en charge des soignants.

Qu'envisagez-vous pour l’avenir ?
Le refus de l’État de remettre en ordre le système de soins, va nous confronter, nous, professionnels du médico-social, dans quelques jours à devoir choisir entre les résidents que nous sauverons en les transportant à l’hôpital et ceux que nous laisserons décéder en EHPAD. En effet, un rapport de "priorisation de l’accès aux soins critiques dans un contexte de pandémie" commandé par le gouvernement, décrit quatre catégories distinctes de personnes qui vont mourir : les morts inévitables, les morts évitables, les morts acceptables et les morts inacceptables. Bien évidemment, les personnes âgées ne seront pas prioritaires. Certains psychologues, ont même dû vider leur bureau afin qu’ils fassent office de chambre mortuaire pour entreposer les corps qui ne pourront pas obtenir de réanimation, qui ne pourront pas être enterrés et à qui les familles ne pourront pas dire un dernier au revoir. Éthiquement, ces responsabilités sont terribles et ne seront pas sans conséquences sur notre santé physiologique. C’est proprement inhumain.

Du côté des résidents, comment surmontent-ils cette épreuve ?
L'interdiction des visites des proches aux résidents et le confinement en chambre ont deux conséquences : finie la liberté d’aller et venir ainsi que le respect de la parole du résident et de ses souhaits. La tristesse, l’isolement, les pleurs, les angoisses et l’agressivité des résidents rythment nos journées. Plus les jours passent et plus les troubles du comportement augmentent, les états d’anxiétés sont également majorés et les troubles confusionnels apparaissent. Aucune prise en charge psychologique ne peut être mise en place. Seule la verbalisation, la remise en marche des pensées sidérées, l’insufflation de la vie dans ces moments macabres, l’écoute et le fait de rester humain guide notre pratique de psychologue durant cette période. Mais les besoins sont trop importants pour satisfaire l’ensemble des résidents, la désastreuse réalité est que nombre d’entre eux n’y ont pas accès.

Réussissez-vous à voir des lueurs d'espoir dans cette période sombre ?
Heureusement. Il y a des résidents qui nous donnent des leçons de vie. Comme cette résidente âgée de 93 ans qui m’a dit "le Président il parle de guerre, mais il me fait bien rire. Moi j’ai vécu la guerre et cette épidémie n’a rien d’une guerre : nous ne pleurons pas pour un morceau de pain et personne ne prend les transports en commun avec un bébé de 6 mois dans les bras en entendant les bombes. Ce n’est pas maintenant et pour un virus que je ne vais pas continuer à m’accrocher à la vie". Mes parents m’ont toujours dit de ne pas choisir cette voie professionnelle pour que les gens aient une vision de moi comme étant un héros. Aujourd’hui tout ceci prend sens. Les héros ce sont ces résidents, qui nous permettent de tenir.

Avez-vous un dernier message à faire passer ?
Ce manque de moyen n’est que la continuité du perpétuel irrespect du gouvernement jeté à nos visages. Ce sont nous, les travailleurs des secteurs sanitaires et médico-sociaux qui payons cette crise sanitaire dont le seul responsable est l’État. Et malgré, toutes ses failles, le Président ose nous demander de faire preuve d’union nationale. Cher gouvernement, sachez que malgré les bas salaires, les contrats précaires, les conditions particulièrement difficiles des soignants, ils n’ont pas attendu vos discours entassés de mesures de contrôle social et de politiques de plus en plus répressives, pour faire part à nos aînés, de notre humanité, notre sens du sacrifice et de notre dévouement pour leur venir en aide.






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