Chiisme, thème du magazine Moyen-Orient


Par Jean-Luc Vannier Rédigé le 24/06/2010 (dernière modification le 24/06/2010)

Le numéro 6 de Juin-Juillet du bimestriel Moyen-Orient propose un récapitulatif fouillé et des plus éclairants sur les multiples approches du chiisme. A nouveau d'excellentes contributions, d'auteurs pas toujours sur le devant de la scène journalistique mais dont les connaissances et les réflexions n'ont rien à envier à leurs collègues plus médiatiques et qui permettent à tous les types de lecteur de se familiariser avec cette frange de l'Islam, de moins en moins marginale et pourtant encore méconnue.


« Mille arrangements, jamais de défaite » dit un célèbre proverbe chiite au Liban. Lorsqu'il s'agit des partisans de la « Secte d'Ali », l'adaptabilité aux circonstances prime. D'où l'intérêt - mêlé de gourmandise pour ceux affectés d'un tropisme irano-centré - de se plonger dans le dernier numéro du bimestriel Moyen Orient consacré aux « spécificités, revendications et réformes » du chiisme qui compte 12% de fidèles parmi les musulmans du monde. D'une exceptionnelle qualité intellectuelle par l'origine de ses contributeurs, cette publication débute, fruit d'un pur hasard de calendrier, avec une interview de Rony Brauman sur « l'action humanitaire au Moyen-Orient ». Avec des trésors d'ambivalence, tiraillé entre son attachement aux droits de l'homme et l'efficience de ses interventions sur le terrain, l'ancien président de Médecins sans frontières exprime son sentiment sur le rôle des associations dans les zones de conflit et commente son action en Afghanistan où, selon lui, « l'aide humanitaire » qui risque d'endosser « un rôle d'auxiliaire de l'intervention militaire », lui paraît « vouée à l'échec ». « Pour la Palestine », explique encore le professeur à Science Po, « en dehors de situations exceptionnelles, les organisations humanitaires n'ont pas à se mêler d'enjeux politiques et doivent s'abstenir de les brandir comme un drapeau ». Des « humanitaires, ajoute-t-il, qui ne doivent pas être tentés par les « slogans politiques » mais doivent aussi « faire abstraction des listes noires, du terrorisme et traiter avec les autorités de fait ». Un subtil dosage d'une position humanitaire « cohérente, à la fois très politique et apolitique » tente de convaincre non sans difficulté l'auteur de « Humanitaire, diplomatie et droits de l'homme » (Éditions du Cygne 2009). Seule partie où il affiche une opinion tranchée: « la condamnation du projet sioniste » qu'il double de son « inquiétude pour l'avenir de la minorité juive du Proche-Orient dans les vingt prochaines années ». La preuve selon lui: les « Israéliens votent avec leurs pieds en quittant le pays ».

Chiisme et exercice du pouvoir politique

Au cœur de la thématique de ce numéro, plusieurs réflexions d'une clarté exemplaire méritent d'être mentionnées: celle, en premier lieu, de Hosham Dawod, Anthropologue au CNRS-F.MSH qui décrit avec force détails et cartographies la « population majoritairement chiite autour du Golfe, là même où se trouvent 60% des réserves mondiales de pétrole connues aujourd'hui ». L'auteur éclaire intelligemment le lecteur sur les origines de l'Imamisme duodécimain et les arcanes de la hiérarchie religieuse chiite. On sélectionnera également l'étude particulièrement fouillée mais limpide du sociologue Moshen Mottaghi sur « les grandes figures de la réforme chiite » en Iran: des évolutions du penseur Abdolkarim Sorouch, le célèbre « intellectuel » de l'Iran contemporain qui s'efforce de concilier « démocratie et réformisme chiite » -même si l'auteur passe pudiquement sous silence ses redoutables méfaits dans les universités iraniennes au début de la révolution islamique- aux différents chefs d'école qui diffusent, derrière l'uniformité du turban, un pluralisme doctrinal, son expertise sous-tend un débat plus fondamental qu'on ne le pense parmi les chiites : l'autorisation ou non d'exercer le pouvoir politique en l'absence ou dans l'attente du retour du Douzième Imam ou Imam Mahdi, l'Occulté. On saura également gré à Abdul Jabar al-Refae, Directeur du Centre d'études de la philosophie de la religion à Bagdad, de rappeler au travers de son article sur « Nadjaf, capitale historique du chiisme réformateur » combien la question de l'arabité ou de la persanité des descendants du gendre du Prophète alimente les divisions au sein même de cette communauté, ne serait-ce que dans la désignation du « Marja-e Taqlid », la source d'imitation suprême pour les fidèles.

Les déviances du Hezbollah

Dans cette perspective, le chiisme libanais est ausculté par Saoud El Mawla, professeur à l'Université de Beyrouth: son travail affiche en creux les déviances politiques et régionales du Hezbollah par rapport aux prescriptions de l'Imam Sadr, soucieux du fait que les chiites ne « soient pas partie dans la déstabilisation de l'entité et de l'État libanais », ou rappelle le Testament d'une autre figure incontestée du chiisme au Pays du Cèdre, Mohammad Mahdi Shamseddine, pour lequel les « Musulmans doivent produire leurs propres modèles de laïcité, modernité et démocratie », rejetant comme dénuée de tout fondement dans le « Fiqh » la « notion d'un gouvernement islamique transnational ou international ». Signalons, last but not least, le décapant tableau sur la « place des Chiites » en Arabie saoudite qui en dit long sur l'antagonisme ancestral entre les fils d'Ibn Saoud et ceux de Cyrus. Surtout lorsque la composante nucléaire s'en mêle.

Autant de textes à même de susciter bien des méditations et des interprétations sur ce qui se trame dans la région. Des interprétations dont les Chiites étayent leurs redoutables capacités sur les « dits » de l'Imam Ali lequel, selon eux, leur enseigne « qu'il faut vivre comme si l'on allait mourir demain mais s'organiser comme si l'on allait vivre mille ans ».


Moyen-Orient, magazine de géopolitique, publication du groupe Aréion, est disponible en kiosque.





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