Il y a 35 ans, les femmes pouvaient devenir Immortelles


Par Jeanne Voisin Rédigé le 09/03/2015 (dernière modification le 09/03/2015)

Le 6 mars 1980, Marguerite Yourcenar, née le 8 juin 1903 à Bruxelles, était élue au premier tour à l'Académie française. C'était la première femme qui entrait dans l'illustre maison fondée en 1634 par le cardinal de Richelieu.


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Rien apparemment dans les statuts ne les en excluait. C'était plutôt une tradition bien ancrée et que personne ne songeait vraiment à remettre en question, qui les en tenait éloignées. De grands noms en ont été tenus à l'écart et dans son discours de réception le jeudi 22 janvier 1981, Marguerite Yourcenar y fait allusion. Citant par exemple Mme de Staël, George Sand ou Colette qui auraient mérité de faire partie de la docte assemblée. Dans les dernières années du XIXe siècle, leur candidature était refusée au motif qu'avait exprimé Henri d'Orléans, duc d’Aumale, fils du roi Louis-Philippe. Pour "entrer à l’Académie, il fallait être citoyen français, c’est-à-dire avoir satisfait à la conscription, ce qui n’était pas le cas des femmes". Avant ce 6 mars 1980, quelques femmes avaient été élues à l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, Colette, Anna de Noailles, Marthe Bibesco ou Marguerite Yourcenar. Et l'Académie Goncourt avait déjà compté parmi ses membres, Judith Gautier, Colette et Françoise Mallet-Joris. Après 1968, quelques audacieuses s'attaquèrent à la place-forte du Quai Conti. Les écrivains Françoise Parturier en 1971, la danseuse Janine Charrat en 1975, la féministe Louise Weiss deux fois cette même année, la journaliste Chantal Dupille en 1976 et l'historienne Marie-Madeleine Martin en 1978. En vain.


Un jeune académicien d'une cinquantaine d'années, assez récemment élu, le 18 octobre 1973, Jean d’Ormesson, a eu à cœur de faire évoluer la situation. Il finit par convaincre Marguerite Yourcenar d’accepter d’être candidate. Elle n'était pas particulièrement emballée et malgré une œuvre immense, elle avait contre elle le fait d'être citoyenne américaine depuis 1947 et de résider sur l'île des Monts Déserts dans l’État du Maine. Le combat fut long et difficile et on ne peut pas dire que ce fut l'enthousiasme chez la majorité des académiciens, Jean Guitton osa "… en tant que femme elle a autre chose à faire que de siéger parmi quarante hommes". Mais ce combat finit par aboutir. L'auteur de "L’œuvre au noir" et des "Mémoires d'Hadrien" fut élu au premier tour, au troisième fauteuil, en remplacement de l'écrivain et critique littéraire Roger Caillois, mort le 21 décembre 1978. Troisième fauteuil qui eut précédemment de célèbres occupants, entre autres le critique Émile Faguet, l'homme politique Georges Clemenceau ou l'historien Jérôme Carcopino.
Le jour de l'élection, il y avait trente-six académiciens présents et la majorité absolue était de dix-neuf voix. Marguerite Yourcenar en recueillit 20, contre 12 à l'ornithologue Jean Dorst, zoologiste et alors directeur du Muséum d'histoire naturelle, il y eut aussi 3 bulletins marqués d'une croix et un bulletin blanc. Le lendemain de l'élection, Jean d'Ormesson écrira dans le Figaro "C'est une victoire de la littérature. Il n'y a pas de polémique dans cette formule, mais une constatation: Marguerite Yourcenar met fin définitivement au mythe de la littérature féminine. C'est un écrivain plus qu'une femme qui entre sous la Coupole". Avant de conclure "En faisant honneur à Marguerite Yourcenar, l'Académie française s'est fait honneur à elle-même". Et comme s'il avait encore été nécessaire de justifier cette élection, Kléber Haedens écrivait "Il est vrai que l'œuvre de Marguerite Yourcenar compose un ensemble qui inspire naturellement la révérence. Une biographie de Pindare, des romans avec des secondes versions et des éditions révisées, des essais, du théâtre, des poèmes en vers et en prose, des traductions d'Henry James et de Virginia Woolf, tout cela est bien remarquable, bien savant et bien distingué". Et il ne fut plus jamais possible de revenir en arrière, le 24 novembre 1988, l'helléniste Jacqueline de Romilly était la deuxième femme à entrer à l'Académie française. Certaines ont dû se présenter plusieurs fois avant d'être élues, tout comme les hommes… Et d'autres n'ont pas encore réussi, telles Frédérique Hébrard qui en 2001, dut s'effacer devant Angelo Rinaldi, Paule Constant en 2004 devant Alain Robbe-Grillet ou Catherine Hermary-Vieille en 2009 devant François Weyergans. Quant à Sylvie Germain, on lui préféra Xavier Darcos en 2013 et la même année, Dany Laferrière l'emporta sur Catherine Clément.

Une ère nouvelle à l'Académie

Actuellement, cinq femmes, depuis la mort d'Assia Djebar il y a un mois, siègent à l'Académie française, les écrivains Florence Delay, Danièle Sallenave et Dominique Bona, la femme politique Simone Veil ainsi que naturellement l'historienne Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuel depuis le 21 octobre 1999. Son prédécesseur, Maurice Druon, avait exprimé le souhait de voir une femme lui succéder. Jean d'Ormesson reçut Marguerite Yourcenar à l'Académie le 22 janvier 1981 et répondit au discours qu'elle avait consacré à Roger Caillois. Dans son intervention, il revient encore sur le talent de la nouvelle venue "Plût au ciel que les hommes que nous avons choisis depuis trois cent cinquante, ans eussent tous l’immense talent de la femme que vous êtes. Ne voyez dans votre élection, qui n’est pas une mode de la tribu, aucun tribut à la mode, ce serait faire hommage en vous au hasard de la naissance, ce serait faire injure en vous au mérite de l’écrivain. Nous n’avons pas voulu nous plier à je ne sais quelle vogue ou vague du féminisme régnant. Nous avons simplement cherché à être fidèles à notre vocation traditionnelle qui est de trouver − si faire se peut − dans les lettres françaises ce qu’il y a de meilleur, de plus digne, de plus durable. Avec vous, Madame, nous y avons réussi". Avant de passer en revue quelques grands titres de l'académicienne. Elle le restera jusqu'à sa mort le 17 décembre 1987 à Bar Harbor, dans l'État du Maine.

La réception de la première femme à l'Académie française attira un nombreux public, plus que les 450 personnes traditionnellement admises à assister à cette séance académique, il y avait du monde debout dans les escaliers. Le président Valéry Giscard d'Estaing et sa femme sont présents, on y voit aussi des ambassadeurs et des ministres. Tous voulaient voir comment allait se présenter la première femme élue qui refusait le costume traditionnel ainsi que l'épée. A cette dernière, elle aurait préféré l'épée tibétaine servant à tuer le moi. On lui lui offrit un aureus en or à l'effigie d'Hadrien. Pour le costume, elle refusa les adaptations du costume masculin qui lui furent proposées et choisi une tenue créée par Yves Saint-Laurent, une robe longue de velours noir avec broderies discrètes, une blouse de crêpe blanc, une ample cape en drap noir et un foulard en mousseline blanche damassée de satin. Les académiciens eux arboraient leur costume traditionnel.





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