Interview: Garga Haman Adji

Garga Haman Adji


Par Max Dominique Ayissi Rédigé le 19/05/2009 (dernière modification le 15/06/2009)

Le Cameroun célèbre le 20 mai, la 37e édition de sa fête nationale, qui commémore la réunification, en 1972, des Cameroun oriental et occidental, pour former la République unie du Cameroun. L’évènement intervient à un moment où la contestation sociopolitique est à son comble. Une contestation dans laquelle Garga Haman Adji tient une place de choix. Ancien ministre de Paul Biya, il a démissionné de ses fonctions, il y a une vingtaine d’années, faute de ne pouvoir mener à sa guise la lutte contre les détournements de fonds publics. Aujourd’hui membre de la Commission Nationale Anti-corruption (CONAC), il est plus préoccupé par l’avenir du Cameroun que par une fête de l’unité dont il ne doute par ailleurs pas de la pertinence.


Photo : Max Dominique Ayissi
Quel est le principal problème qui mine la société camerounaise aujourd’hui ?
C’est la mal gouvernance. Je ne sais pas si c’est le principal ou l’unique, mais le Cameroun est mal gouverné et les conséquences sont dramatiques. Le chômage n’en est que la résultante. J’entends souvent parler de la lutte contre la pauvreté, c’est la lutte contre le chômage. Moins il y aura de chômeurs, plus il y aura de revenus à encaisser. Alors, on tourne autour du pot, pour faire plus de bruits et tromper le peuple. C’est de la démagogie ! Le Cameroun n’est pas gouverné, la gestion est piteuse.

En quoi se décline justement cette mauvaise gouvernance ?
Il y a plus l’autorité de l’Etat. Le premier ministre peut parler, on en rigole. Le président lui-même parle, on en rigole. La preuve : combien de ses proches collaborateurs (secrétaire général de la présidence de la République, ministre et directeurs de sociétés) sont en prison en ce moment, pour la corruption qu’il dénonce dans ses discours ?
Il n’y a plus d’autorité de l’Etat et ça c’est grave. J’ai lu, il y a quelques jours dans un journal, que des ministres d’Etat se sont chamaillés au cabinet du premier ministre, pour des questions de positionnement. C’est le mépris. Quand on respecte quelqu’un on ne se querelle pas devant lui. D’ailleurs, dans les discours officiels, on parle de restaurer l’autorité de l’Etat. C’est grave quand un premier ministre demande de restaurer l’autorité de l’Etat. Ça veut dire qu’il en constate l’absence ou peut-être qu’il en souffre.

Comment en est-on arrivé là ?
C’est la désagrégation progressive de l’Etat. Et, à force de ne pas scellé les morceaux qui se désagrègent, nous sommes en train d’aller vers la tombe. Vous savez, la tombe c’est la régence de la désagrégation de la matière, c’est la même chose, au niveau de l’Etat. L’Etat est en train de disparaître, en tant que notion.

Comment en sortir ?
Il faut que les gens deviennent plus sérieux, notamment les dirigeants en place. Quand on parle de détournement de deniers publics, de corruption, l’exemple venant d’en haut, les autres ne font qu’imiter ce que le haut dicte. Quand vous organisez une élection sur la base de la tricherie de la fraude électorale, n’est-ce pas le détournement des voix ?
Qu’on détourne les voix, les deniers publics, qu’on triche à l’université, qu’on falsifie les diplômes, tout cela procède de la même logique. Les gens qui savent qu’un tel est élu sur la base de la fraude électorale se disent, pourquoi moi je ne falsifierais pas un diplôme. C’est une logique qui est en train de gangréner la société camerounaise.
Il faut que les camerounais sachent que, si on ne revient pas à cette moralisation dont parlait le président Paul Biya, un certain 06 novembre 1982, il n’y aura plus de société camerounaise, il y aura une république de bandits. Voilà ce vers quoi nous cheminons malheureusement.

Croyez-vous les gouvernants actuels capables d’une telle conversion ?
Moi je ne vois pas tous ceux qui gouvernent. Je vois le premier responsable. C’est à lui de réfléchir, d’avoir des espèces d’appareils détecteurs, pour savoir avec qui travailler. Pour savoir qui peut continuer à mener la barque vers le bon port ou qu’il dise : Je ne peux plus. Je déclare forfait. Mais je vais quand même organiser des élections et veiller à ce qu’elles se déroulent normalement. Tant qu’on ne le fera pas, nous continuerons à descendre et malheureusement pour tout le monde.
Ce n’est pas un pan du Cameroun qui descend et un autre monte. C’est absolument faux ! C’est nous tous qui sommes en train de chavirer, parce que nous sommes dans une même barque qui s’appelle Cameroun. Il n’y aura pas des noyés d’un côté et de sauvés de l’autre. Tous les camerounais, résidents au Cameroun, vont se noyer si nous ne faisons pas attention.

A qui pensez-vous ?
Quand je dis tous, qu’il s’agisse des gens qui pensent qu’ils n’en font pas partie ; qu’il s’agisse de ceux qui croient qu’ils seront les premières victimes, ils se retrouveront tous au fond de la calle, noyés. Il faut que tout le monde revienne à la raison et comprenne qu’on est sur terre pour vivre et créer la promotion, l’intérêt de vivre et non de vivoter. Les Camerounais aujourd’hui vivotent.
Certains croient qu’ils sont riches. Ils vivotent eux aussi, parce que quand vos enfants entendent à la radio et à la télévision que vous avez volé, à mon sens, vous n’existez plus. Je ne fais allusion à personne.

37 ans après l’indépendance, n’avez-vous pas le sentiment qu’on est pire qu’au point de départ ?
Oui ! L’indépendance c’est une question d’abord psychologique. Quand il y a un maître et un sujet, le sujet voudrait soit devenir maître soit cesser d’entendre dire qu’il est sujet. L’indépendance consiste donc à supprimer la notion de maître et de sujet, c'est-à-dire la subordination de condamnation ; comme si on était condamner à être esclave. En cela, l’indépendance était quelque chose d’utile.
Mais l’indépendance c’est aussi un défi. Il faut montrer au maître d’hier qu’on ne méritait pas d’être sujet. Et ne pas mériter d’être sujet, c’est faire au moins aussi bien que quand le maître était là. Et, si possible, faire autant que le maître fait chez-lui et pourquoi pas mieux. Voilà l’intérêt de l’indépendance. Mais quand vous n’arrivez pas à relever un tel défi, vous pouvez consciemment vous demandez si vous n’êtes pas un sujet-né ou le maître, s’il n’est pas un maître-né, par rapport à vous.

Pour vous, rien n’a donc été fait, depuis l’indépendance.
J’étais dernièrement dans le Grand Nord, à Mokolo. Les bâtiments, construits après l’indépendance ne représentent pas le 1/3 ce que le colon a laissé. Qu’est ce que nous avons fait pendant 50 ans. Je signale que les Français sont restés chez-nous pendant 44 ans.
Autre chose ! Quand les Allemands sont venus, ils ont construit un tronçon de notre chemin de fer. Les Français en ont construit un deuxième ; Ahidjo un troisième. J’attends le tronçon du renouveau. L’Etat doit continuer à assurer le progrès. Et ces infrastructures sont la partie visible de l’évolution d’un pays. On n’est pas là pour gérer l’existant ; être des gens qui vivent sur l’acquis.
B. Marchal a dit quelque part : « le plaisir ne se trouve pas dans la jouissance, mais dans la poursuite ». Vous héritez d’un bien, ne vous dites pas que vous allez en jouir et rester tranquille. Non ! Il faut en poursuivre la réalisation et l’amélioration. Et notre problème se situe là. On est devenu une société bloquée. Certains feignent de ne pas l’être, pour tromper les gens. A supposer même qu’ils ne feignent pas. Quand tu es seul développé dans un désert, comment vas-tu en sortir ? Voilà le fond du problème.

Est-ce que le problème ne s’appelle pas Paul Biya ?
Je ne sais pas s’il s’appelle Paul Biya ou s’il s’appelle Renouveau. Mais Biya a la malchance d’être le porteur du chapeau. Il ne peut pas être président de la République et on dit c’est Garga qui est responsable de la situation. Si c’était un succès, on allait dire : le Renouveau, dont Biya est le géniteur a été un succès terrible. Puisque c’est un échec, on ne va pas non plus l’enlever pour mettre quelqu’un d’autre. Il doit assumer.

Comment comprendre l’unité nationale dans ces conditions ?
Nous avons incontestablement un point de convergence, un dénominateur commun qui est le Cameroun, la nationalité camerounaise. Nous en sommes conscient et neuf fois sur dix, nous en sommes fiers. Et c’est peut-être cette fierté qui est à l’origine de certains soubresauts. En face d’un Ayissi, Bouba, Kamga etc., je pense d’abord au Camerounais et je ne suis pas le seul.
L’unité nationale c’est d’abord une question de sentiment et non de localisation. Ce qui concrétise cette unité, c’est le football. Quand l’équipe nationale joue, ce sont tous les camerounais qui sont accrochés à leur poste, devant leur téléviseur. C’est ça l’unité. Elle existe. Elle est encrée en.
Ce qui se produit, c’est qu’on la blesse périodiquement au niveau individuel ou régional. C’est une blessure qui peut se guérir, mais ce n’est pas une éradication. L’unité nationale est là, qu’on le veuille ou non. Le reste, c’est politique. Il ne faut pas non plus utiliser l’unité nationale comme une arme pour effrayer les autres. En disant : « si c’est ça, moi je vais partir ! » Il va partir, l’unité va rester.

Pour vous, ceux veulent partir n’on qu’à s’en aller, les autres resterons.
Ils ne partiront nulle part. Ils menacent. Bon ! Ça peut être du beau jeu pour certains, mais personne ne partira du Cameroun. C’est pour ça que nous voulons que ce Cameroun là se fabrique mieux, qu’il remonte mieux et réussisse mieux dans toutes ses entreprises, notamment dans son développement économique et social. Personne ne partira du Cameroun. C’est ma conviction.

Même pas la Southern Cameroon ?
Je parlais tout à l’heure de blessure, c’est des gens qui ont peut-être été blessés dans vision politique, soit du Cameroun, soit du partage. Parce que la Southern Cameroon égal pétrole. Peut-être qu’ils estiment que les retombées pétrolières ne sont pas partagées selon leur goût. Mais dire qu’ils vont partir, ils vont partir où ? Et puis qui va les laisser partir ? Il y a l’armée ! Le Cameroun est une République une et indivisible.
Mais il faut éviter de faire que les camerounais restent dans un enfer. On veut qu’il devienne un paradis. Non seulement que les camerounais se plaisent à y rester, mais que d’autres peuples viennent nous y rejoindre.

Le sentiment régionaliste est pourtant de plus en plus exacerbé.
C’est un problème de partage. Il n’y a pas longtemps, les députés nordistes ont protesté, pour une histoire dont je suis à l’origine, l’Université de Maroua. C’est moi qui l’ai initié les 16 et 17 avril 1991. Avec toutes les élites du Diamaré, dans la salle des conférences de l’Ecole des infirmiers de Maroua. Les députés en ont été choqué et l’ont reprise, mais ils ont marché. En réalité, il s’agit de l’entendement de notre système politique.
J’ai l’impression que, pour le gouvernement camerounais, tant que les gens ne manifestent pas ou tant que les radios étrangères n’en parlent pas, il fait le mort. Et dès qu’il y a manifestation, il se réveille, soit pour donner raison, soit pour tirer sur la foule. Et ces députés, sachant qu’on ne va quand même pas tirer sur eux, ont marchés pour réclamer l’Université et l’Ecole nationale supérieure de Maroua et avoir leurs cadres.
Je parle de partage parce que, quand vous voyez le taux de scolarisation, le taux de fonctionnaires, le taux de responsables dans les services administratifs, techniques et gouvernementaux, vous trouverez que le nord n’est pas représenté à la dimension de son poids démographique. Ce qui choque tous les nordistes et c’est le rôle de l’Etat, quel qu’il soit, d’assurer l’équilibre, d’assurer l’égalité des chances. Et c’est ce cri là qui fait que parfois on se plein du côté de Bafoussam, de Maroua ou de Bertoua. Encore faut-il que le gouvernement étudie ses statistiques qui doivent être élaborées, pour remédier à ces failles.

Du coup, n’est-on pas plus nordiste, sudiste ou encore bamiléké que camerounais ?
Oui ! C’est un problème de démocratie. Si notre démocratie était bien encrée ; si les élections étaient libres et transparentes ; si je sais que celui qui est à l’Assemblée, c’est moi qui l’ai élu, tout le monde se sentirait à l’aise. A partir du moment où on sait que 1/3 voir 2/3 des députés qui sont à l’Assemblée Nationale proviennent de la fraude, on se sent nordiste. Le jour où la démocratie va régner, ce sera un lien extrêmement fort entre les camerounais. Ce sera l’un des guides de la justice au Cameroun. Les chances doivent être égales et les capacités individuelles classent ou déclassent les uns et les autres.

Cet environnement permet-il d’envisager l’alternance politique ?
Si je parts du dernier évènement politico-électoral qui est la nomination des membres du conseil électoral de Elections Cameroon, je crois que le doute est permis. On ne peut pas bourrer tout une structure des fidèles du régime du Renouveau et du RDPC, qui ont prêté serment d’allégeance au président en exercice. Que celui-ci se représente et qu’on dise non, on préfère Garga. Le doute est vraiment permis.
Je peux vous dire que j’ai déjà fais un recours gracieux au président de la République, comme la loi le prévoit. Le délai étant épuisé, je passe au recours contentieux. C’est mon choix, celui de l’application de la loi. D’autres choisissent des démarches politiques. Mais tout est en train de se conjuguer, pour empêcher l’alternance. Et qui dit empêcher l’alternance de façon artificielle, dit créer des troubles. Et je vous le dis : s’il n’y a pas des élections claires en 2011, je vous jure qu’il y aura des troubles. Ce n’est pas moi qui en serait l’auteur, mais je cause avec les camerounais et je sais ce que la majorité ressent. On ne peut pas avoir un régime qui nous rétrograde économiquement et socialement et dire qu’on va continuer à l’applaudir. Ce serait l’injure la plus grave qu’on puisse faire aux camerounais. Ils ne sont pas aussi bêtes que ça. Nous n’avons jamais été bêtes, d’ailleurs !

Vous croyez que vous serez entendus ?
Je me suis adressé au président de la République, signataire du décret qui a nommé des membres du bureau politique du RDPC membres de Elecam. J’ai attiré son attention. J’ai fais appel à sa magnanimité. Ce n’est pas pour flatter, le mot est à sa place, pour lui dire : dépasse-toi ! Oublie tout ! Fais ce qui doit être fait ! Si ça n’a pas été entendu, je verrai aussi jusqu’où notre justice est indépendante.
Il ne s’agit pas de l’écrire dans la constitution ou de le dire dans des discours, mais de le vivre dans la réalité quotidienne. Je ne vois pas par quel moyen Clément Atangana, le président de la chambre administrative ou Dipanda Mouelle, le premier président de la Cour Suprême, vont me dire que le fait de prêter allégeance politiquement à un parti, à un régime, au chef de son parti, est une fausseté. Et si n’est pas une fausseté, c’est la vérité. Si c’est la vérité, ça veut dire que ces gars là doivent chercher des postes ministériels. On peut les leurs donner. Ce serait tout à fait normal. Personne ne peut aller faire un recours à la Cour Suprême, parce qu’on a nommé un individu ministre.
Pendant que les gens vont préparer la fête du 20 mai, moi je vais préparer le recours contentieux. Ce n’est pas que je néglige la fête du 20 mai, mais je prépare d’autres 20 mai, encore plus succulents.





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