L'Italienne à Alger de Rossini à l'Opéra de Marseille


Par Rédigé le 01/01/2013 (dernière modification le 01/01/2013)

Une Italienne qui n'aime pas les kébabs...


A se demander, à la sortie de cette Italienne à Alger, si le Rossini buffo avait pour toujours laissé la place au compositeur d'opera seria, lui dont la veine la plus nostalgique, voire la plus tragique, semble transpirer de pages en pages. Si les ensembles restent extraordinairement animés (ils feront dire à Stendhal: "c'est la musique la plus physique que je connaisse"...), on savoure avec délectation une fois encore cet irrésistible jeu sur le langage le plus loufoque possible et sur les onomatopées.

Mais, au fond, est-elle vraiment drôle la manière d'Isabella de repousser les avances de Mustafà? Plutôt sadique oui. Rossini a rarement donné vie également à un personnage aussi pitoyable que ce dernier. Plus que jamais, à travers le livret au goût de dragée au poivre dont le contenu semble écrit aujourd'hui, on y voit l'affrontement quotidien de la culture européenne avec l'univers de l'Islam.
Pour cette intrigue pleine de conventions, dans un décor astucieux dans ses triples facettes car à mi-chemin entre réalisme et exotisme de pacotille signé par Rifail Ajdarpasic, la mise en scène de Nicola Berloffa donne un aspect presque divinatoire à la partition.
Il faut un homme de théâtre doué d’une imagination prodigieuse pour faire de la partition autre chose qu’une suite de numéros de bel canto. Nicola Berloffa y réussit admirablement. Le Palace d’Alger qu’il nous présente est plutôt un bazar hollywoodien à la fois luxueux, féerique, magique, comique. Truffé de clins d’œil, de Jaws à Jurassic Park ou à Chaplin, le jeu des solistes et choristes est minutieusement réglé, chorégraphié et s’intègre avec loufoquerie à l’ensemble. C’est fin, spirituel, jamais vulgaire. Vous l’aurez compris, un bonheur complet car on rit souvent. En ces temps de disette qui s’en plaindrait?

Le timbre oblitéré par une laryngite aigüe, la basse italienne Alex Esposito, à la présence scénique jeune, vigoureuse, loin des caricatures d’un théâtre fin de siècle alla Offenbach, sauve le spectacle et remporte un triomphe mérité. Il confère à son personnage de Mustafà un poids humain inouï qui le rend encore plus crédible.
Pantin ridicule dans une farce de mauvais goût, Marc Barrard offre à Taddeo une superbe performance dans une composition voulue grotesque certes, mais d’une drôlerie irrésistible et pleine de verve.
Excellent également le Haly de Patrick Delcour, enfin rendu à son juste mesure théâtrale et musicale.
Déjà entendu à Marseille, le ténor canadien Frédéric Antoun donne une belle noblesse et une grande allure à son Lindoro. Un loukoum poétique, musical, au timbre clair, agréable, à la ligne vocale moelleuse et sucrée… qui se savoure comme le meilleur des desserts de l’aid.
On s’habille chic dans le Harem de Mustafà. A tous les niveaux. La Zulma de Carol Garcia et l’Elvira véhémente d’Eduarda Melo se taillent un franc succès. Mérité. Vis comica là encore indéniable et talents à suivre de très près pour ces deux jeunes artistes.
On ne peut que saluer bien bas la performance de Marie-Ange Todorovitch, artiste complète, qui sait ce qu’elle fait, avec lucidité, honnêteté, et par-dessus tout un métier en béton. En prime ce magnétisme propre à toutes les divas. A mi-chemin entre Jane Russel, Ava Gardner ou Bette Davis, voilà une Isabella autoritaire, mûre dans tous les sens du terme, au sex-appeal irrésistible, à l’image même voulue par Rossini, qui sait faire oublier çà et là, par ses déhanchements torrides et son décolleté aussi vertigineux que la crise de l’U.M.P., ses quelques péchés vocaux.
Pour finir, louons la participation des chœurs et figurants (sortis pour certains d’un péplum à trois dollars) et surtout la direction attentive, sans bavure de Giuliano Carella (le spécialiste de l’ouvrage à Marseille) pleine de sourire, d’humour, de limpidité, de brillance.





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