Le Podcast Edito: Agnès, Martin et le DSM


Par Jean-Luc Vannier Rédigé le 04/12/2011 (dernière modification le 04/12/2011)

Après le viol et le meurtre d’Agnès par un adolescent, la réflexion doit porter sur l’approche pluridisciplinaire de la souffrance et de la violence, approche pourtant remise en cause par les nouvelles formes de gestion comptable et budgétaire des pratiques cliniciennes. D’où la publication récente d’un manifeste militant signé par les plus grands noms de la psychiatrie et de la psychanalyse, critique sans concession du Manuel Diagnostique et Statistique (DSM), et de son refus de prendre en compte la psyché individuelle dans sa dimension inconsciente.


Il y a le temps de l’émotion et du recueillement. Puis celui de la réflexion. Le viol et le meurtre de la jeune Agnès par un adolescent de 17 ans, déjà mis en examen pour des faits presque similaires commis en août 2010, ont conduit le gouvernement à réagir. Politiquement s’entend: un nouveau projet de loi -huit sur la délinquance sexuelle et la récidive depuis 2004- destiné à "placer en centre éducatif fermé" les auteurs de "crimes sexuels particulièrement graves". En deux lignes, un vocabulaire qui interpellerait n’importe quel spécialiste de la psyché: comment parvenir à "éduquer" un adolescent en l’enfermant ? Y-aurait-il des crimes sexuels plus ou moins "graves"? Malgré un suivi psychiatrique et judiciaire "exemplaire" et un milieu familial "mobilisé pour favoriser sa réinsertion", explique un responsable de la Protection Judiciaire de la Jeunesse en charge du dossier de Martin, l’adolescent a peut-être souffert d’un "trouble psychique indécelable jusqu’ici". Indécelable car probablement masqué par la dimension sexuelle et compulsive de l’acte, dimension si cruciale lors du cataclysme pubertaire que certains l’assimilent à la psychose. Dimension désormais privée de reconnaissance par les évolutions de la nosographie internationale.

Dans ce concert d’indignations et de dénonciations, souvent nourri d’une tentative cachée de déculpabilisation, une phrase du ministre de la justice doit retenir l’attention: "il faudrait", a dit Michel Mercier, une "évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité". On devrait prendre le ministre au mot. Et lui rappeler le vif débat qu’il sous-tend: celui sur l’abandon, au nom de la rationalisation comptable et budgétaire des pratiques hospitalières, de la psychiatrie de secteur qui visait, selon un de ses fondateurs, à soigner "tous les malades d’un secteur géographique donné en s’appuyant sur les concepts d’une psychiatrie humanisée et fécondée par la psychanalyse".

Podcast DSM.mp3  (2.98 Mo)


Pour en finir avec le carcan du DSM

Il suffit pour s’en convaincre de lire le manifeste militant signé par les plus grands noms de la psychiatrie analytique et paru récemment aux Éditions Érès. Dans leur "Initiative pour une Clinique du Sujet", dont le sigle -ICS- rappelle la place prépondérante accordée à l’inconscient, ces praticiens s’en prennent à la classification des maladies mentales du DSM, le Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux de l’Association des Psychiatres Américains choisi comme référence unique par l’OMS: déni de la causalité psychique, refus de laisser leur place aux événements traumatiques du patient, intrusion subreptice de la morale dans la nosographie où "l’incivilité" devient une maladie qui invite à en déceler les causes organiques. Sans parler de l’introduction dans le futur projet de DSM V, de nouveaux référentiels de nature uniquement quantitative comme les "troubles de l’hypersexualité" ou l’instauration d’évaluations "prédictives" à même de définir des "troubles futurs". On sait ce qu’il en est, dans l’esprit de certains, des bambins agités de trois ans.

"Pour en finir avec le carcan du DSM" critique le préalable organiciste, exclusif d’autres approches, dans la formation universitaire des futurs cliniciens. Il dénonce par surcroît les pressions des compagnies d’assurance arcboutées sur ces références pour leurs remboursements et celles des groupes pharmaceutiques qui exploitent ces grilles pour adapter, voire créer leurs médicaments. En témoigne la production de la Ritaline, parallèle à la création des troubles de l’hyperactivité avec déficit de l’attention.

On ne saura jamais si le recours à la dimension inconsciente aurait pu sauver Agnès en comprenant mieux Martin. Une incertitude qui ne doit pas faire renoncer aux exigences thérapeutiques: il en va de la sauvegarde du sujet. Et de celle d’autres victimes en puissance.





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