Le Podcast Edito: Réflexions psychanalytiques sur le mariage homosexuel


Par Jean-Luc Vannier Rédigé le 16/09/2012 (dernière modification le 16/09/2012)

Promesse du candidat socialiste, revendiqués par leurs associations, le mariage et l’adoption par les couples gays et lesbiens suscitent un débat sur l’homosexualité qui mêle plusieurs registres. Celui portant sur la dimension psychique de cette économie libidinale n’est certainement pas le moindre. Malgré d’indéniables -et légitimes- acquis pour la liberté de l’être humain dans ce domaine, grâce en particulier aux travaux des psychanalystes, certaines homosexualités, notamment collectives, interrogent toujours la clinique.


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L’expérience analytique a conduit Sigmund Freud à faire évoluer sa conception de l’homosexualité: tenue pour une "inversion" dans ses "Trois essais pour une théorie de la sexualité" de 1905, elle est devenue dans ses œuvres tardives un "arrêt dans le développement sexuel". Une évolution dont témoignent deux lettres, l’une célèbre, l’autre moins: la première est une réponse adressée le 9 avril 1935 à une "mère américaine" inquiète pour son fils et où Freud lui rappelle que si "l’homosexualité n’est pas un avantage… ce n’est ni un vice, ni un avilissement et on ne saurait la qualifier de maladie". Neuf ans auparavant, dans une correspondance privée avec l’écrivain Stefan Zweig, Freud réfléchissait déjà sur "l’amour d’homme à homme… qui n’aurait pas à dépasser ce dernier reste d’étrangeté entre homme et femme et ne recèlerait pas ce supplément de sadisme qui envenime les relations entre les deux sexes".

Souvent taxé d’homophobe, notamment pour s’être interrogé lors de son séminaire "Les formations de l’inconscient" de 1958 sur le caractère "guérissable" des homosexuels, un adjectif analytiquement maladroit, Jacques Lacan n'en explique pas moins dans le même texte que "l’homosexualité masculine est une inversion quant à l’objet, qui se structure au niveau d’un Œdipe plein et achevé". Une formule susceptible, selon d’autres analystes, de donner l’accès à une "position sexuelle et parentale stable", "compatible" par surcroît "avec l’exercice des responsabilités de parents". Des collègues américains affirment d’ailleurs que la clinique in statu nascendi de l’homoparentalité fait apparaître, tout comme celle de l’adoption, la "curiosité des enfants pour leur origine et la passion sexuelle de ses parents" et une relative souplesse psychique et adaptative des enfants élevés dans ces nouvelles structures familiales. Non sans quelques ratages où c’est l’enfant qui devient le "symptôme", voire le "thérapeute de ses parents" à l’image de cas qui surgissent "ordinairement" au sein des couples hétérosexuels. L’inconscient ne connaît pas le genre.

Se laisser contaminer par le VIH au nom de l'amour de l'autre

Mais certaines homosexualités -dans leur articulation pulsionnelle- ne laissent pas d’interroger la clinique. En premier lieu, la grave résurgence du sida chez les gays due à l’augmentation des pratiques sexuelles à risque -le triste bareback- convoque la psychanalyse lorsqu’un patient séropositif déclare par exemple -et sur le divan l’exemple est la chose même- "qu’il s’est laissé contaminer par amour" ou "par désir de partage avec son compagnon". Finement décrit il y a quelques années par Éric Verdier et Jean-Marie Firdion (Homosexualités et suicide, études, témoignages et analyse, H&O éditions, Paris 2003), le risque suicidaire chez les homosexuels se serait-il déplacé sur le terrain des rencontres physiques dans les lieux festifs de la Communauté gay? Des lieux qui sont à proprement parler le révélateur du mal-être qui les constitue: le socio-psychanalyste Gérard Mendel a bien pointé cette illusion en rappelant que "les milliers de participants en transe d’une rave party et les dizaines de milliers de spectateurs d’un match de football… cherchent à se décharger, un moment, d’une identité individuelle trop lourde à porter avec ses conflits et ses contradictions". La philosophe Hanna Arendt a magnifiquement, elle aussi, mis en exergue cette "irréalité mystérieuse" des hommes serrés les uns contre les autres dont la "chaleur offre un sentiment rassurant d’invisibilité". De la communauté au ghetto, la frontière semble ténue: des "agrégats d'isolés" pour plagier Winnicott.

C’est là sans doute que la revendication du mariage pour et par les homosexuels suscite, du point de vue de la psyché, la plus intense des circonspections: n’est-ce pas le mariage en tant qu’une des institutions de la "morale sexuelle civilisée" qui, selon Freud en 1907, "entrave les individus dans leur santé et leur aptitude à vivre"? "L’autorité disait: "Mariez-vous"", rappelle Jules Michelet dans son ouvrage "La sorcière". Et l’historien de poursuivre: "mais elle rendait cela très difficile et par l’excès de la misère et par cette rigueur insensée des empêchements canoniques". En France en 2011, un mariage hétérosexuel sur deux se termine par un divorce.





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