Les lettres hongroises mises à l'honneur


Par Rédigé le 15/10/2025 (dernière modification le 15/10/2025)

Le prix Nobel de littérature 2025 a été attribué jeudi 9 octobre à László Krasznahorkai, "pour son œuvre fascinante et visionnaire qui, au milieu d'une terreur apocalyptique, réaffirme le pouvoir de l'art".


C’est ce qu’a déclaré le jury du comité Nobel. L’Académie suédoise ajoute que László  Krasznahorkai est "un grand écrivain épique dans la tradition d'Europe centrale qui s'étend de Kafka à Thomas Bernhard, et se caractérise par l'absurdisme et l'excès grotesque. Mais il a plus d'une corde à son arc, et il se tourne également vers l'Orient en adoptant un ton plus contemplatif et finement calibré".
Quant à l’écrivain de 71 ans, auteur d'une douzaine de romans, de nouvelles et essais, il a confié à la radio suédoise SR "Je suis très heureux, calme et très nerveux à la fois". Il se trouvait alors à Francfort dans l'appartement d'un ami malade. Il a ajouté "Je ne m'y attendais pas du tout". Il a même cité un de ses auteurs préférés, Samuel Beckett, qui s'était exclamé dans les mêmes circonstances en 1969 "Quelle catastrophe!".

Il s’est aussi réjoui "Je suis très heureux et très fier, car faire partie de cette lignée qui compte tant d'écrivains et de poètes exceptionnels me donne la force d'utiliser ma langue, ma langue maternelle, le hongrois". Et comme on lui demandait comment il comptait célébrer cet événement, il aurait répondu "en dînant en compagnie de ses amis à Francfort", avec du porto et du champagne…

Depuis plusieurs années, son nom circulait avec insistance pour cette prestigieuse récompense et cette année plus que jamais, à côté il est vrai, de ceux de l'Australien Gerald Murnane, du Roumain Mircea Cartarescu, du Hongrois Péter Nádas ou encore du Suisse Christian Kracht. Il a été distingué vingt-trois ans après son compatriote Imre Kertész qui lui l’avait été "pour une œuvre qui dresse l'expérience fragile de l'individu contre l'arbitraire barbare de l'histoire".

Viktor Orbán, chef du gouvernement hongrois a félicité László Krasznahorkai sur Facebook, même si le romancier s’est souvent montré critique à son égard. "La fierté de la Hongrie, premier prix Nobel originaire de Gyula, László Krasznahorkai. Félicitations ! ".

Frédéric Cambourakis, patron de la maison d'édition française qui publie son oeuvre depuis la fin des années 1990, avoue "Nous sommes très fiers de ce Nobel et très heureux d'avoir accompagné cette voix puissante et singulière". Ce prix Nobel, c'est aussi une consécration pour l'éditeur qui a publié sept romans de l'auteur dont "Au nord par une montagne, au sud par un lac, à l'ouest par les chemins, à l'est par un cours d'eau" en 2010, puis "Guerre et guerre" et "Petits travaux pour un palais" l'an dernier.

Quant à Joëlle Dufeuilly, sa fidèle traductrice française depuis quelque vingt-cinq ans, elle dit "C'est énorme, parce que ça fait plusieurs années qu'il est cité parmi les nobélisables". Elle évoque "une énorme émotion, un immense bonheur". Elle insiste sur la "musicalité" particulière de sa langue. Elle précise que "L’écriture de Krasznahorkai est profondément sensorielle et musicale", son style est unique, la longueur de ses phrases est incroyable, parfois il faut chercher le verbe à la page précédente… le début des chapitres est d’une grande complexité. Son discours est inédit, ni tout à fait direct ni tout à fait indirect.

"Maître hongrois de l'apocalypse"

László Krasznahorkai est né le 5 janvier 1954 à Gyula, au sud-est de la Hongrie, dans une famille juive de la classe moyenne et a fait des études de lettres et de droit. Il publie ses premiers textes dans un journal en 1977, tout en travaillant comme documentaliste pour une maison d’édition. Son premier roman, Satantango sort en 1985. Grâce à une bourse il s’installe en 1987 à Berlin-Ouest comme on disait alors. Il reçoit en 2015 le très prestigieux Man Booker International Prize pour l'ensemble de son oeuvre, on le considère en général comme l’annonce du Nobel…

Il partage sa vie entre Vienne, Trieste et Budapest et entreprend de longs voyages. Sa carrière est jalonnée de nombreuses récompenses, Prix Attila-József en 1987, Prix Tibor Déry en 1992, Prix Sándor Márai en 1998,Prix Kossuth en 2004, Prix Vilenica en 2014, Prix international Man Booker en 2015, Prix de l'État autrichien pour la littérature européenne en 2021, Prix Formentor en 2024.

Il se fait connaître en 1985 par son premier roman Satantango, Le Tango de Satan, qui reste son œuvre la plus célèbre où il conte la vie d’un village en décomposition dans la Hongrie de l'ère communiste, douze chapitres d'un seul paragraphe chacun qui sera publié en France en 2000 chez Gallimard. Grâce au scénario de László  Krasznahorkai, Satantango deviendra un film de plus de sept heures en 1994 avec la caméra du réalisateur hongrois Béla Tarr. Il a écrit cinq scénarios, "Damnation" en 1988; "L’Homme de Londres" d’après un roman de George Simenon, à Cannes en 2007, "Le Cheval de Turin", Ours d'argent à la Berlinale en 2011. Il a également adapté deux de ses romans, outre "Le Tango de Satan" en 1994 "Les Harmonies Werckmeister" en 2000.

László Krasznahorkai définitit lui-même son style comme "la réalité examinée jusqu'à la folie". Son goût pour les longues phrases et les paragraphes étranges lui ont valu le qualificatif d'"obsessionnel".

À partir de la fin des années 1990, ses œuvres sont traduites en français, l'une des plus importantes, La Mélancolie de la résistance (2006 chez Gallimard), puis chez Cambourakis, dès 1999, Guerre & Guerre, Au nord par une montagne, au sud par un lac, à l'ouest par les chemins, à l'est par un cours d'eau (2003), Seiobo est descendue sur terre (2008), Le Dernier Loup (2009), Le baron Wenckheim est de retour (2016) et Petits travaux pour un palais (2018).

On ne manque jamais de faire remarquer que depuis sa création, le prix Nobel de littérature est surtout allé aux hommes et aux lettres occidentales. Parmi les 122 lauréats, seules 18 femmes ont été récompensées et une minorité d’entre eux sont de langues asiatiques ou moyen-orientales. Il faut quand même noter que l'Académie suédoise, secouée par un scandale en 2018, s’est quelque peu renouvelée et depuis lors, actuellement près d'un lauréat sur deux est une femme.
Le prix Nobel, c’est un diplôme, une médaille et un chèque de 11 millions de couronnes suédoises, environ un million d'euros.
Comme le veut la tradition, László Krasznahorkai se rendra le 10 décembre à Stockholm pour recevoir le prix et prononcer un discours écrit pour la circonstance.





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