NOUVEAUTE DISCOGRAPHIQUE: L'ORCHESTRE PHILARMONIQUE DE MONTE-CARLO A SON PROPRE LABEL


Par Christian Colombeau Rédigé le 28/10/2010 (dernière modification le 28/10/2010)

L’O.P.M-C de Monte-Carlo dans l’ombre impériale de Diaghilev…
Comme le dit si bien le livret de ce luxueux triple digipak, dédicacé avec amour et admiration sincère par S.A.S. La Princesse de Hanovre…


Plaisir donc de retrouver, tout au long de ces trois disques au minutage généreux, la poigne inflexible de Yakov Kreizberg qui en véritable maître de scène reprend à son compte le dogme stravinskien selon lequel cette musique ne s’interprète pas, elle se joue !
Le Chef et sa phalange risquant bien ici d’inscrire leurs noms parmi les grands interprètes de la trilogie des ballets des années 1911-13, 1920 pour Pulcinella.
Voici dans L’Oiseau de Feu une belle tension, une leçon d’esthétisme rare, pure et translucide. Ce vaste poème symphonique, à l’orchestration luxuriante, soyeuse, colorée “alla Rimski-Korsakov“, intime, vaste et rigoureux, s’irise des mille couleurs d’un arc-en-ciel magique, comme un triomphe naturel de la lumière sur l’ombre. Le ballet s’écoute comme un tout, porté, jusqu’à l’allégresse finale, par un élan olympien qui enthousiasmera les plus rétifs.
Entre les soieries de l'Oiseau de Feu et les secousses telluriques du Sacre du Printemps, voici venir les facéties de Pétrouchka, scènes burlesques en quatre tableaux. Pétrouchka, c'est le Polichinelle russe, pantin grotesque et maladroit qui n'est pas si éloigné du Pierrot-Pasquarello italien.
La musique joue constamment sur deux degrés. Tantôt lyrique, tantôt parodique, elle utilise un orchestre foisonnant, aux couleurs tranchées, râpeuses (bravo à Maria Masycheva, pour son piano volontiers percussif !).
Refusant l’incantatoire, ne négligeant aucun détail de couleur, avec juste cette touche irrésistible de tension, de nerf, ou ça et là quelques clairs-obscurs à l’impalpable mystère, Chef et Orchestre décapent cette partition d’un dynamisme, d’une énergie rares, où résonnent les influences des musiques populaires d’Europe, de Russie et d’Orient.
Il n'est pas exagéré de le dire : Le Sacre du Printemps constitue l'un des piliers du modernisme musical, sa plus grande force est qu'il confirme avec éclat l'avènement d'une nouvelle conception du temps musical. Cette œuvre peut se comparer à ces tableaux cubistes qui étalent une mosaïque de facettes. Ici la discontinuité du fil musical crée l'illusion d'un temps morcelé en fragments de natures différentes pour illustrer un grand rite sacral non dénué d’une certaine cruauté : de vieux sages, assis en cercle, observant la danse de la mort d'une jeune fille, qu'ils sacrifient pour rendre propice le dieu du printemps.

Yakov Kreizberg nous en offre une version virtuose en diable, originale. Il s'interdit de gonfler les sons et construit toujours une image sonore d'une pureté étonnante, aux reflets presque laiteux. Les jeux sur le tempo, sur les alliages sonores, montrent qu'il y a encore une belle marge d'innovation pour cette partition (sorte de Bing-Bang du XXe siècle !) dont il souligne avec précision et son sens de l'articulation, la sauvagerie démesurée. Les notes sont projetées avec une implacable régularité et ne s'encombrent d'aucune politesse inutile : leur but est de convaincre certes, mais aussi de séduire.
Grâce à ce prodigieux enregistrement, cette œuvre païenne, archétype stravinskien par définition, est une nouvelle fois en passe d'étaler son statut d'universalité. Musique fascinante, rendue à sa vérité première. Les amateurs de sensations fortes qui décideront à se lancer dans l'aventure ne le regretteront pas.
Dernier joli tour de force de Yakov Kreizberg, nous prouver que Pulcinella (le titre complet est Pulcinella, ballet avec chant en un acte d'après Giambattista Pergolesi) n’est pas cette pochade de retour au néoclassique tant décriée par les puristes, mais bel et bien la cousine méditerranéenne de Petrouchka, à l’orchestration gorgée d’un soleil puisé aux sources de la Comedia dell’Arte.
Les pertinentes interventions des solistes (Renata Pokupic, irrésistible dans la Tarantelle, Kenneth Tarver et Andrew Forster-Williams eux aussi bien mis en place avec en plus cette jeunesse, cette insolence vocale indispensables), vendent pour du bon pain le piratage sympathique d’un Stravinsky qui s’amuse ouvertement dans cette pantalonnade à l’extrême raffinement bouffi de clins d’œil.
Sournoisement, Yakov et ses musiciens semblent nous dire : pas besoin de connaître Pergolèse, pas plus que de suivre l'action, ni de comprendre les paroles chantées, il suffit de céder aux malicieux artifices du sorcier Stravinsky… Qui une fois de plus viole l'histoire et lui fait cet enfant. Habillé somptueusement par un Philharmonique de Monte-Carlo en grande forme et à l’enthousiasme ravageur.



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