Tribune - RDC: Étienne Tshisekedi, une mort avec plusieurs conséquences


Par Rédigé le 13/02/2017 (dernière modification le 12/02/2017)

Figure de proue de l’opposition congolaise, leader depuis plus d’une génération de l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social) et du rassemblement des forces politiques acquises au changement, l’opposant congolais Étienne Tshisekedi wa Mulumba s’est éteint le mercredi 1er février 2017 à la clinique Saint-Élisabeth d’Uccle de Bruxelles d’une embolie pulmonaire. L’opposant historique est certes décédé d’une mort naturelle, mais laisse une postérité politique sujette à plusieurs interrogations inquiétantes.


Il est décédé maintenant? Non!

RDC Tshisekedi.mp3  (1.27 Mo)

C’est donc une mort à laquelle personne n'aurait voulu croire. Mais elle est bien là, le créateur l’a appelé et c’est le voyage ultime sans retour. Étienne Tshisekedi, le leader maximo affectueusement appelé Ya Tshitshi laisse une classe politique congolaise complètement déchirée. Cette dernière prend plus de temps à discuter et se partager le gâteau Congo sans relâche. Qu’adviendra-t-il? Que deviendra le poste du président du conseil national de suivi qui lui revenait déjà après la signature de l'accord de la Saint-Sylvestre? Et les arrangements particuliers continueront? La majorité montrera-t-elle encore assez de bonnes fois si l’homme fort de limité n’est plus? Qui présidera à la destinée de l’UDPS? Et le rassemblement arrivera-t-il a resté souder? Ces questions n’ont pas de suite ni de réponse. Dans les langues des Congolais, pleurer l’homme oui, mais plus d’un, imagine plutôt les conséquences de cette mort en ces moments cruciaux de l'histoire du pays. Si hier on a sauvé le pays du gouffre à l’aube de la fin du deuxième et dernier mandat du président Kabila, "c’est parce que le président Tshisekedi n’a plus appelé le peuple à des manifestations", nous confie un leader de la société civile, ajoutant: "Pour les politiciens sceptiques, les arrangements particuliers menés après l’accord de la CENCO vont connaitre un vrai frein. Le président Tshisekedi était l’homme qui faisait peur au régime et qui l’amenait à réfléchir par deux fois avant de perturber les négociations".

Ce qui est vrai, est que l’avenir s’avère incertain. Pour un pays où la personnalisation des institutions est monnaie courante, l’absence de la personne d’Étienne Tshisekedi et son poids politique manquera forcément à ses compagnons de lutte du rassemblement qui risque de s’éclater. Du côté de l’UDPS c’est un communiqué simple signé par le porte-parole Augustin Kabuya qui confirme la mort de l’opposant historique et promet d’autres communiqués pour les obsèques. Le gouvernement quant à lui a annoncé des funérailles officielles pour la mémoire de celui qu’on appelle déjà le défenseur de la démocratie.

Plusieurs sources concordantes soulignent des réunions de crise aux QG des partis politiques de l’opposition comme de la majorité. Bien que rien n’a filtré de ces réunions, des analyses parient sur des prises de positions nouvelles, de revirement à 90°, de changements de stratégies qui ne tenaient qu’au respect qu’on accordait à la personnalité et au poids politique du défunt.

Même la presse se montre inquiète. Du journal L’Avenir en passant par la prospérité, le potentiel ou forum des As des tabloïd kinois, les titres parlent d’eux même: "Tsunami sur l’opposition", "Le rassemblement décapité", "L’opposition orpheline c’est maintenant qu’on verra si la postérité de ya Tshitshi existe réellement", "Le rassemblement au bord du gouffre", "La disparition d’Étienne Tshisekedi laisse un trou béant", pour ne citer que ceux-là. Tous ces quotidiens insistent sur les ambitions des uns et des autres qui s’entrechoquent au sein de l’opposition qui ne facilitera pas une succession sans casse. Mais aussi sur l’incarnation d’Étienne Tshisekedi longtemps personnifié et dont la présentation comme une institution a toujours fait défaut.

De tout ce qui précède, c’est un avenir sombre qui semble se dessiner. La succession posera surement problème. Dans sa propre famille restreinte, Félix Tshisekedi bien qu’étant l’ainé des enfants d’Étienne Tshisekedi, ne fait déjà pas l’unanimité pour prendre la primature. Ce dernier se voit constamment accusé d’inexpérience politique par son jeune frère Christian Tshisekedi. Personne ne sera surprise par exemple, si le rassemblement revient à se raviser et n’accepte plus de confier la primature au fils pendant que le père occupait déjà le conseil national de suivi. Et la majorité qui soufflait le froid et le chaud avec l’introduction dans les pourparlers de la question du référendum constitutionnel et le choix discrétionnaire du président sur la désignation du futur Premier ministre sur la base d’une liste de cinq candidats peut facilement revoir ses cartes et hausser le ton. Étienne aura donc choisi le mauvais moment de sa carrière pour tirer sa révérence.


Qui était Étienne Tshisekedi wa Mulumba?

Né le 12 décembre 1932 à Kananga, dans le Kasaï occidental, Étienne Tshisekedi a été jusqu’ici la figure de l’unité du rassemblement des forces acquises au changement plateforme politique regroupant plus d’une centaine de partie politique alliés à l’opposition congolaise. Toute sa vie, Étienne Tshisekedi l’a pratiquement dédiée à une lutte acharnée et radicale contre les dictatures et les oppressions des régimes divers depuis l’accession du pays à l’indépendance et le coup d’état militaire du 14 septembre 1960 du maréchal Mobutu.

Après des études de droit, celui qui deviendra le président à vie de l’UDPS passe d’abord par une élection en 1965 et réélu en 1971 et en 1980 comme député national, le sphinx a occupé plusieurs fonctions dont: celui de commissaire général adjoint à la justice en 1964, puis il occupera le fauteuil du ministère de l’Intérieur en 1967, il sera ensuite ministre de la Justice en 1968, ministre d’État en charge du plan recherche scientifique, de l’Aménagement du territoire en 1969 puis suite aux massacres des étudiants de Lovanium le 4 juin 1969 dont il s’oppose farouchement, il sera écarté du gouvernement pour aller gérer l’ambassade du Congo au Maroc comme ambassadeur pendant quatre années.

De son retour au pays, il passe aussi pendant cinq ans aux fonctions du président du conseil d’administration de la prestigieuse compagnie d’aviation zaïroise Air Zaïre avant d’être désigné plusieurs fois Premier ministre sous Mobutu en 1991, 1992 et en 1997 suite au vote à la conférence nationale souveraine et le parlement de transition HCR/PT, poste qu’il quittera le 9 avril 1997 soit un mois avant la chute du régime dictatorial de Mobutu battu par la rébellion armée de Mzee Laurent Désiré Kabila.

C’est depuis un certain 15 février 1982 qu’il a créé l’UDPS avec un collège des fondateurs qu’il présidera jusqu’à sa mort.

Un combat pour la démocratie

Étienne Tshisekedi s’est rendu célèbre pour ses prises de positions et oppositions frontales contre le régime du président de la deuxième république Joseph Désire Mobutu, mais aussi la suite de ses actions contre le régime des Kabila de père en fils. Son combat lui a prévalu plusieurs fois des arrestations à la prison d’Oshwe dans le Bandundu, la prison centrale de Makala qu’il visite en octobre 1985 pendant plus d’un an comme prisonnier pour outrage au chef de l’État et des relégations dans son village d’origine Mupompa où il sera coupé du monde à plusieurs reprises. On se souviendra aussi par exemple des coups et blessures qu’il a reçu de la police politique du régime en 1987 pendant qu’il a été brutalement molesté à l’aéroport international de Ndjili.

Devenue référence de l’action citoyenne et non violente au pays, en 2002, pendant les négociations de Sun City, il refusera de participer au gouvernement d’union nationale qui a mis en place le célèbre 1+4. Il se verra supplanté par Arthur Zahidi Ngoma qui représente l’opposition républicaine au sein des institutions et les ex-belligérants armés - à savoir Azarias Ruberwa Manwa du RCD Goma et Jean-Pierre Bemba Gombo du MLC - qui seront tous désignés vice président de la république avec Abdoulaye Yerodia. Il boycottera ensuite les élections de 2006 qu’il qualifie de fantaisistes et non transparentes; pour ensuite se présenter en 2011 où il sera officiellement proclamé deuxième derrière Joseph Kabila avec près de 35% de suffrages exprimés.

Pendant qu’il conteste les résultats, il s’autoproclamera président et prêtera serment dans sa villa de Limité et mettra à prix la tête du président Kabila qu’il qualifie d’imposteur et d’usurpateur. Pendant toute son existence, Étienne Tshisekedi n’a cessé de s’en mordre les doigts d’avoir accepté entre 1998 et 2001 pour chercher des consensus aux pourparlers de Sun City qui bloquaient de s’être rendu à Kigali qui soutenait militairement la rébellion du RCD et d’avoir participer personnellement à Kisangani a un défilé militaire des troupes rwandaises et ougandaises. Une tâche d’huile qui aurait longtemps sali son image d’homme non violent et que ses adversaires politiques ont manipulé contre lui dans tous les sens.

Enfin, pour la première fois de sa vie, il arrêtera de s’opposer radicalement au régime en place et acceptera de partager le pouvoir autour du dialogue national où il a pris les fonctions du président du conseil national de suivi des accords et dont le futur Premier ministre devrait être son fils ainé Félix Tshisekedi. C’est à l’aube de la concrétisation de cet ultime acte que le baobab s’est écroulé; pendant un contrôle médical de routine. C’est une embolie pulmonaire qui l’emporte, laissant derrière lui plusieurs incertitudes non élucidées et une crise politique loin de trouver son dénouement et dont l’absence ne facilitera à rien les affaires de l’opposition et de la nation toute entière.







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