Vue de Goma et d’ailleurs


Par Walassa Mulondani Lech Rédigé le 27/11/2008 (dernière modification le 27/11/2008)

La guerre qui sévit au Nord Kivu depuis le 28 août dernier est perçue de diverses manières selon que l’on est à Goma ou ailleurs. Il suffit de se rendre dans cette ville à la merci du volcan Nyiragongo pour voir les idées reçues s’envoler en fumées comme par un coup de baguette magique.


Bref séjour à Goma

Quand on vient de Bukavu ou de Kinshasa où la rumeur et la désinformation sont érigées en système, on a des surprises désagréables à Goma. De un. Dans la ville au sol volcanique, la population est partagée entre la colère et la peur. Colère contre la Monuc et les autorités congolaises. Contre la Mission des Nations Unies au Congo (Monuc) pour son incapacité à protéger les civils dans les cas d’insécurité qui sont légion à Goma comme à l’intérieur de la province. Colère contre les autorités congolaises pour le manque de sérieux dans la gestion du conflit. Et de se demander comment un gouvernement qui est à Kinshasa peut continuer à traiter le CNDP « d’une bande d’aventuriers à la solde des puissances étrangères » alors que ce mouvement occupe déjà trois territoires ? Masisi, Nyiragongo et Rutshuru sont actuellement administrés par les hommes de Nkunda. Maintenant la ville de Goma est à portée des canons des insurgés. De deux. Tout ce qu’on dit en dehors tend à diaboliser les compatriotes congolais d’expression kinyarwanda. Pour la simple raison que je comprends cette langue, je deviens rwandais à Bukavu et à Kinshasa. Mais on ne se gène pas d’avoir des députés et sénateurs venant de ces coins situés à un jet de pierre du Rwanda. Leur langue maternelle c’est la même qu’au pays de Kagame. On fait fi de l’Histoire des peuples habitants la région pour des intérêts politiques et égoïstes.
La population du Nord Kivu sait très bien que ce qui se passe est une affaire entre politiciens congolais. Sinon comment comprendre que nos soldats FARDC, armée régulière, perdent toutes les batailles, au risque de perdre la guerre, alors qu’à Kinshasa on continue à privilégier la voie militaire sans donner des moyens conséquents aux soldats. Des trahisons en trahisons, des officiers supérieurs affairistes foulent au pied des ordres donnés par l’Etat-major et se paient sur la bête : le soldat des rangs. La solde et la ration n’arrivent qu’au compte – goutte si jamais elles arrivent.

Panique à Goma !

Le 29 octobre dernier une vive panique s’est emparée de la ville. Les militaires et leurs matériels ont traversé la ville abandonnant le front de Kibumba, à une dizaine de kilomètres au Nord de Goma. Prise de panique, la population a eu très peur de voir des chars de combats et autres armes lourdes prendre la route de Sake vers le Sud. Ceux qui pouvaient encore rire ont parlé d’une nouvelle discipline aux jeux olympiques : la course des chars de combats comme discipline à médailles pour le pays de Garry Kikaya dont l’équipe est revenue bredouille de Pékin.

J’arrive dans la ville le lundi 3 novembre. La psychose était telle que les bateaux partaient vide de Bukavu, ville située à 150 km au Sud de Goma dans la province du Sud Kivu. Après une longue nuit de traversée du lac Kivu, je débarque au port de Goma très tôt le matin. Après les formalités désormais très réduites, je prends la traditionnelle moto, transport en commun par excellence dans la ville. Les premiers informateurs sont les conducteurs de moto. L’homme qui me conduit en ville me demande si je n’ai pas peur de venir dans la ville alors que les autres cherchent à la fuir. Il se dit même que ça doit être très important pour moi pour prendre un tel risque. Il ne sait pas que je suis journaliste et que mon travail m’exige d’être là où se passe l’événement. Les premiers contacts avec la population de Goma démontrent effectivement que la rébellion a beaucoup de soutien. Les militaires qui avaient fui commencent à revenir de leurs cachettes. Les paroles du conducteur de la moto traduisent mieux la situation. « Je suis originaire de Rutshuru où j’étais cultivateur et éleveur. J’ai vendu une partie de mon bétail et j’ai payé cette moto. Je suis obligé de vivre à Goma avec ma famille car la sécurité n’est pas garantie dans mon village. Moi je suis rwandophone comme on dit ici mais ça ne représente aucun danger. Du moins pour le moment. Nous sommes nombreux ici en ville. Je pense que le conflit vient de vous qui parlez le français (intellectuels dans le parler populaire au Congo). Les gens-là (rebelles) ont raison quelque part. Comment voulez-vous que nous ne puissions pas demander la sécurité pour cultiver nos champs et élever nos vaches ? Ils sont très loin ceux qui disent qu’il faut se battre. Ils continuent à perdre. »
J’entends les mêmes paroles chez la vendeuse de jus et beignets. Voyant passer des étudiants, elle me révèle que la majorité de ces étudiants sont avec la rébellion et n’attendent que son arrivée dans la ville. Lorsque je me rends au marché des bois, je me rends moi-même compte que la langue des vendeurs est le kinyarwanda. Les complicités et les affinités sont dans toutes les sphères de la population congolaise. Il n’est pas possible de séparer le bon grain de l’ivraie. Si ivraie il y a car les réalités du milieu contredisent toutes les prévisions. Pour se rendre compte de la réalité du Nord Kivu, on se rappellera le ralliement au mouvement rebelle de plusieurs fonctionnaires de l’administration publique parmi lesquels des élus locaux et des conseillers au gouvernement provincial. Ils ont rejoint la rébellion pour diverses raisons. Mais la principale reste la sécurité pour les congolais d’expression kinyarwanda.

Perte du goût à la vie

Les habitants de Goma perdent le goût de la vie et ne savent plus à quel saint se vouer à cause des affrontements interminables entre les FARDC et le CNDP. La situation qui sévit aujourd’hui au Nord Kivu inquiète la population. Nombreux sont les habitants qui vivent sans espoir du lendemain. Les affrontements dans plusieurs territoires et autour de Goma se commentent dans tous les sens. Les comportements des rebelles du CNDP et ceux de certains militaires des FARDC inquiètent la population. Nous ne comprenons pas jusqu’où va nous mener cette guerre,on a comme l’impression qu’elle a plusieurs facettes,s’est exclamé un professeur d’université visiblement abattu et révolté par les derniers revers de Lubero où des soldats de l’armée régulière ont pillé,violé et volé dans plusieurs familles. Et on ne sait pas jusque quand la ville de Goma va tenir. Certes, il règne un calme relatif dans la ville mais avec la situation actuelle dans les territoires, Goma sera certainement confronté à de sérieuses difficultés sur le plan alimentaire, estiment plusieurs couches de la société civile du Nord Kivu. Aujourd’hui, la ville volcanique vit dans une véritable insécurité alimentaire. Les prix des produits de première nécessité ont pris l’ascenseur et d’autres comme le poisson salé ou encore du lait par exemple sont devenus des denrées rares. Goma, c’est aussi une ville d’ambiance. Bon nombre de gomatraciens, comme on appelle les habitants de Goma, ont perdu le goût et rares sont ceux qui circulent encore au delà de 20 heures même si quelques courageux se permettent encore le luxe de se promener jusqu’au delà de 22 heures. Par crainte de ce qui se passe au Nord Kivu aujourd’hui, beaucoup de gomatraciens confient leur avenir au hasard.

Dialogue de sourds

Le gouvernement de Kinshasa et la rébellion de Laurent Nkunda refusent de s’entendre pour mettre fin à la souffrance de la population. Pour Kinshasa, aucune négociation directe n’est possible avec Nkunda en dehors du programme Amani (paix en swahili) issu des accords de Goma. Le mouvement de Nkunda rétorque que ce cadre est nul et exige des négociations directes pour arrêter les combats. La communauté internationale s’active à concilier les deux belligérants pour trouver une voie de sortie à la crise. Pour les diplomates qui défilent dans la région, la solution militaire ne produira pas de solution durable. Ils privilégient la piste politique.






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