Argo : les "Invités" de Téhéran


Par Rédigé le 18/07/2019 (dernière modification le 18/07/2019)

En 1979, 6 employés de l’ambassade des États-Unis en Iran échappent à une prise d’otages en se réfugiant dans l’ambassade canadienne voisine. Ils en seront exfiltrés deux mois plus tard par un super agent de la CIA, qui les fera passer pour une équipe de tournage cinématographique.
Cette histoire, pour le moins insolite, est celle d’Argo, réalisé en 2012 par Ben Affleck.


Argo, la jaquette du film. Photo(c) Isabelle Lépine
Le film commence le 4 novembre 1979, sur les images d’une foule déchaînée qui menace l’ambassade des États-Unis à Téhéran au cri de "We want Shah back", tout en brûlant le drapeau américain. Cet évènement est à resituer dans le contexte de l’avènement au pouvoir de l’Ayatollah Khomeini et du départ du Shah destitué Mohammad Reza Pahlavi, malade, pour les États-Unis. Mais le Shah est aussi accusé d’être à la solde des Américains, et le régime de Khomeini veut le voir revenir pour le juger. Les protestations se font de plus en plus fortes, jusqu’à ce que la foule hurlante réussisse à franchir les grilles de l’ambassade. A l’intérieur, ordre est donné par la CIA de détruire tous les dossiers confidentiels, tandis que le service de sécurité interne a pour consigne formelle de ne pas tirer. "On n’a pas envie d’être les salauds qui auront déclenché la guerre. Si vous tuez une seule personne, ils tueront chacun d’entre nous l’un après l’autre," dit le chef du poste à ses hommes.

De leur côté, dans la salle des visas, un petit groupe d’agents consulaires s’interrogent sur ce qu’ils doivent faire : s’enfuir ou attendre des secours qui ne viendront probablement pas ?

Ils prennent finalement le parti de tenter de sortir, tandis que les autres employés sont faits prisonniers par la foule rugissante. Les six évadés trouvent refuge à proximité, à la résidence de l’ambassadeur du Canada, où ils deviendront « les invités ».

Les gardiens de la Révolution ont cependant repéré qu’ils manquaient du monde à l’appel, et ils cherchent les fugitifs partout dans le voisinage. Plus le temps passe, plus le risque de se faire repérer est grand, et plus il devient dangereux pour eux de rester.

69 jours plus tard, le Ministère des affaires étrangères américain consulte donc la CIA pour organiser une exfiltration. C’est l’agent Tony Mendez qui sera en charge de la mission. Toute la question étant de savoir comment il va bien pouvoir les faire sortir d’Iran...

Un scénario digne d’Hollywood

Quelques idées sont lancées, mais tout aussi rapidement abandonnées, car jugées irréalistes ou trop dangereuses.

C’est finalement en regardant La planète des singes à la télé, avec ses étendues lunaires et arides, que l’agent spécial a une illumination : l’idée d’un film de science-fiction, qui nécessiterait ce genre de paysages exotiques pour simuler l’espace, sur le modèle de Star Treck ou de Star Wars, et qui justifierait donc qu’une équipe de tournage aille en Iran pour faire du repérage.

L’intention de Tony est de faire passer les fugitifs pour cette équipe de cinéma, canadienne.

Il se met alors en lien avec John Chambers à L.A., un contact de la CIA, maquilleur prothésiste pour le cinéma, qui a reçu un oscar pour La planète des singes, justement, et avec lequel il a déjà travaillé dans le passé. Il lui dit qu’il a besoin que soient effectivement montées toutes les bases d’une production réelle, afin de les couvrir.

Lester Siegel (un vrai producteur hollywoodien) va jouer le producteur, et Tony le producteur associé.

"Argo" est le nom du film qu’ils sont censés réaliser, un film spatial de SF fantaisie au Moyen Orient, d’après un scénario proposé par une certaine Mary Ann Boyd.

Pour faire réaliste, une "vraie fausse" soirée de lancement du projet est organisée, amplement relayée par la presse. Fort de cette "preuve" dans les journaux, Tony, aka Kevin Harkins pour les besoins de la couverture, va alors passer par la Turquie pour entrer en Iran. Une fois sur place, il se rend immédiatement au ministère de la Culture et de la guidance islamique pour demander l’autorisation de son repérage.

Pendant les jours qui suivent, il n’aura de cesse de faire travailler leur rôle aux agents, d’abord incrédules quant à l’issue possible de ce scénario incroyable, et plutôt sceptiques quant à leur capacité à endosser les identités, qui d’un cameraman, qui d’un réalisateur, d’un scénariste, ou encore d’une cheffe décoratrice.

Le jour du départ venu, après des vérifications d’identité à l’aéroport, qui tiennent le spectateur en haleine jusqu’à la dernière minute, Tony et ses protégés réussissent finalement à passer les contrôles, non sans être poursuivis jusqu’au bout de la piste de décollage par des véhicules militaires.

A leur retour aux États-Unis, l’action de la CIA sera passée sous silence. Officiellement, c’est grâce au Canada et à son ambassadeur, que les "invités" ont pu être secourus. En secret, John Chambers, le maquilleur d’Hollywood, recevra l’Intelligence Medal, la plus haute distinction civile de la CIA, et Tony Mendez l’Intelligence Star, une reconnaissance rarissime pour les agents.

La crise iranienne des otages se terminera près d’un an plus tard, le 20 janvier 1981, lorsque tous les détenus restants auront été libérés. Ils auront passé au total 444 jours en captivité.

Quand la fiction rencontre la réalité

Cette histoire, qui peut sembler folle, l’est d’autant plus qu’à quelques détails près, elle est bel et bien réelle. Mark Lijek et sa femme Cora, Robert Anders, Henry Schatz, Joseph Stafford et sa femme Kathy, ont existé. Tous étaient des agents diplomatiques ou assimilés, en poste à l’ambassade américaine de Téhéran au moment des faits.

Nous sommes alors sous Jimmy Carter. Stansfield Turner dirige la CIA, et Tony Mendez est déjà un super agent, dont les hauts faits sont connus et reconnus de sa hiérarchie. C’est donc lui qui est sollicité lorsqu’il s’agit de mener à bien cette mission délicate.

L’exfiltration du petit groupe de l’ambassade a bien eu lieu en le faisant passer pour une équipe de cinéma canadienne. Les seules divergences avec la réalité résident dans le rôle joué par l’ambassadeur (c’est en réalité surtout un agent de l’ambassade, qui n’apparaît pas dans le film, qui a beaucoup aidé les fugitifs, et en a accueilli une partie chez lui), ainsi que sur les modalités de sortie du territoire, beaucoup plus tranquilles que dans le film, dont la dernière séquence a été particulièrement romancée.

Le président Clinton a rendu l’opération "Argo" publique en 1997. On a alors su le rôle joué par la CIA et par l’agent Mendez, qui a ainsi pu être décoré officiellement pour son action, et raconter enfin au grand public les dessous de cette affaire incroyable.

Argo.mp3  (6.81 Mo)






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