La révolution est-elle en marche?


Par Rédigé le 11/04/2016 (dernière modification le 10/04/2016)

Il y a eu Podemos en Espagne, Occupy Wall Street aux USA, les printemps arabes… et toutes ces tentatives n’ont pas eu l’effet escompté. Le mouvement "Nuit Debout", qui prend une réelle ampleur partout en France et fait ses premiers pas ailleurs, est lui aussi fondé sur un ras le bol général, une colère aux multiples visages. Une nouvelle révolution française, voire européenne, se prépare-t-elle?


Du rejet de la loi El Khomry à une VIe République

Carte des événements #NuitDebout organisés en France et ailleurs à partir du 9 avril 2016, publiée sur le compte Twitter du mouvement.

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Tout a commencé le 9 mars 2016, avec une très forte mobilisation contre la réforme du code du travail proposée par le gouvernement. Très vite, la jeunesse lycéenne et étudiante s’est mobilisée pour exiger le retrait d’une loi (dite El Khomry) perçue comme inique, et les concessions du gouvernement n’ont pas affaibli le mouvement. Le 31 mars 2016, près de 1,3 million de personnes ont manifesté, selon les organisateurs. Parmi les manifestants, non seulement des jeunes inquiets pour leur avenir, mais aussi des précaires, des fonctionnaires, des employés, des syndiqués, des chômeurs, tout un peuple en colère qui réclame plus de justice à tous les niveaux, en plus du retrait total de la loi en question.

Le soir même, un collectif organise une occupation de la place de la République à Paris, et c’est le début du mouvement "Nuit Debout". Depuis, chaque nuit, des centaines de personnes se réunissent pour discuter de l’avenir du pays. Apolitique, le mouvement se veut pacifique, joyeux et même festif. Il réunit des personnes de tous horizons.

Une semaine après le 31 mars 2016, des collectifs se réunissent un peu partout en France et font une demande en préfecture pour organiser des "Nuits Debout". A Bordeaux, Lyon, Toulouse, Clermont-Ferrand, Pau, Metz, Marseille, Strasbourg, Tulle, mais aussi dans des villes de banlieue comme Ivry ou Montreuil, ou encore en Guadeloupe, les mécontents se rassemblent. En ce jour, ce sont déjà une trentaine de communes qui sont concernées, et le mouvement ne cesse de s’étendre. Le collectif parisien appelle à un campement permanent sur la place de la République.

La page Facebook a déjà près de 47.000 abonnés et la pétition lancée pour soutenir le mouvement a récolté près de 33.000 signatures en deux jours. Le compte Twitter compte lui aussi plus de 21.000 abonnés. Des chiffres qui augmentent d'heure en heure. Comme ailleurs, la contestation citoyenne française utilise largement les réseaux sociaux.

Il ne s’agit pas seulement du retrait de la loi El Khomry, mais bien d’une réappropriation de la démocratie par le peuple, qui passe par une réappropriation de l’espace public malgré l’État d’urgence. Les revendications sont multiples, voire disparates: revenu de base, droit au logement, démocratie par tirage au sort, destruction du capitalisme, démission totale du gouvernement et réécriture de la constitution reviennent souvent dans les débats. Mais il est aussi question d’OGM, du traité Transatlantique, du système scolaire, des violences policières, de l’état d’urgence, de la dette…

Les milliers de personnes qui adhèrent au mouvement exigent une société revue et corrigée, libérée de l’oligarchie, de la répression des libertés et des fraudes. Les révélations de l’affaire Panama Papers arrivent à point nommé: elles cristallisent en partie ce que dénoncent ces indignés. "Pour que cette lutte réussisse, exigeons la démission du Sénat remplacée par une assemblée constituante tirée au sort, qui pourra réécrire une constitution citoyenne. Il faut mettre fin à cette oligarchie représentative qui ne nous représente plus! Tenons!" écrit un internaute sur la page Facebook du mouvement.



Une contestation constructive

Petit à petit, le mouvement s’organise. Les temps de parole sont délimités, une forme de langue des signes est utilisée pour entériner les décisions, de manière à éviter le brouhaha. Les pages Facebook locales et les réunions préparatoires se multiplient pour fédérer les bonnes volontés et centraliser les compétences: pôles médical, communication, logistique, etc, se mettent en place.

L’aspect joyeux et pacifique, respectueux de chacun, est mis en avant. "Ce mouvement participatif est avant tout de la concertation et de la préparation vers une nouvelle Démocratie et une nouvelle Constitution, rien à voir avec une ZAD! Pour faire durer ce mouvement: nous devons aussi réfléchir à la manière, tout autant qu'aux objectifs! Nous devons nous activer en intelligence, en dignité, dans le respect, pour que ce Mouvement soit respecté! Nous devons être "irréprochable" pour que ce Mouvement le soit tout autant, afin de ne donner aucune faille aux autorités ou aux médias pour bloquer les autorisations d'occupation ou de discréditer le Mouvement! Ne nous montrons pas non plus aux yeux de la population comme des zadistes! Occupons les places publiques, mais sans oublier qu'elle "n'est pas à défendre", puisqu'elle est déjà à nous, le peuple! Donc, de grâce: "évitez l'alcool sur place" évitez de laisser tous détritus sur les lieux" aucune dégradation d'aucunes sortes" écrit un militant belge.

Car le mouvement s’est d’ores et déjà étendu à la Belgique et à l’Espagne, et de partout en Europe affluent des encouragements. Une page Facebook "Nuit Debout partout en Europe" invite tous les indignés européens à se rassembler entre le 9 avril 2016 (rebaptisé 40 mars pour signaler la continuité depuis le 31 mars) et le 23 avril 2016. "Nuit Debout va plus loin que la loi travail, c'est toute la beauté du mouvement! On évoque la société dans son ensemble, comment la changer pour qu'elle nous corresponde? Et le plus beau, c'est que même à l'étranger ils s'y mettent (Bruxelles, Berlin, Madrid, Barcelone). Le peuple d'Europe, sous l'impulsion de la France, est en train de se saisir de la question politique, de son avenir et de sa propre société!" s'exclame encore un internaute.

Un peu partout on peut lire que l’extrême-droite a tenté de récupérer ce mouvement, en vain. Jean-Luc Mélanchon le soutient officiellement, mais les indignés persistent et signent dans leur volonté de rester en marge de toute étiquette politique.


La presse étrangère s’intéresse de près à ce mouvement social, tout comme les médias de l’Hexagone qui commencent à le relayer en masse. Pour une fois, il ne s’agit pas de corporatisme ou de refus devant une réforme impopulaire, mais bien d’une volonté de changer beaucoup de choses à la fois, et de ne pas s’en remettre aux politiques pour ce faire. Il est inédit qu’un mouvement social fédère des écologistes, des agriculteurs, des étudiants, des chômeurs, des retraités, des travailleurs et des gens de tous horizons politiques pour une cause aussi vaste et imprécise. Et cela n’est pas sans rappeler d’autres mouvements sociaux d’ampleur: on ne peut s’empêcher de penser à mai 68, bien que les participants s’en défendent du fait de l’échec de cette révolution.

Dans "Ah! ça ira" de Denis Lachaud (paru en 2015), l’auteur met en scène l’occupation pacifique d’un espace proche de l’Élysée par des jeunes sans logements. Il se trouve que le DAL (Droit au Logement) est depuis le 31 mars associé au mouvement "Nuit Debout". Dans le roman, ce mouvement contestataire pacifique s’organise de la même manière que ce à quoi nous sommes en train d’assister. L’issue en est la prise de pouvoir par le peuple, après un attentat. La réalité rejoindra-t-elle la fiction jusqu’au bout?





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