Rossini encore et toujours à l'Opéra de Marseille


Par Rédigé le 13/11/2018 (dernière modification le 13/11/2018)

Une "Dame du Lac" chevaleresque à souhait. "Excalibur" non, Walter Scott oui!


Photo courtoisie (c) Opéra de Marseille

Dame du Lac.mp3  (82.28 Ko)

Présenter en concert "La Donna del Lago" de Rossini relève de la gageure, du pari fou. Certains qualifieront cet opéra de monstre d'ennui au goût de panse de brebis farci. Même s'il n'a pas la grandeur de "Moise", "Maometto II" ou "Guillaume Tell", reconnaissons que Rossini s'essaie de belle manière à un romantisme naissant et sombre.
C'est donc une excellente initiative à mettre encore une fois à l'actif du bouillonnant et sympathique directeur de l'Opéra de Marseille, Maurice Xiberras.
Cette "Dame du Lac" (sans les accents arthuriens d'"Excalibur", mais toujours avec Walter Scott) annonce les évolutions futures du "Cygne" de Pesaro vers des formes qui se rapprochent plus du bel canto, le rondeau final trouvant de superbes échos dans la "Cenerentola" à venir.
Tout comme dans "La Clémence de Titus", émerge la figure tutélaire d'un souverain clément et bienfaiteur, ici Giacomo V, qui va renoncer à l'amour pour transformer cette renonciation en pardon. Chez Rossini on fait la guerre, chez Mozart on complote. Ami, choisis ton camp...
Le livret a la limpidité d'un brouillard écossais. Elena, la fameuse Dame du Lac, est désirée par trois hommes, rien que cela. En tête de liste, Roderigo, un rebelle écossais, puis voici venir Giacomo V, son ennemi juré mais lui est roi d’Écosse, enfin petit dernier, Malcolm, chevalier sans peur et sans reproche au service de la révolte écossaise par amour pour sa belle Elena. Entre les trois mon cœur balance... valse hésitation, airs connus...
C'est fini? Que nenni! Il manque au quatuor la statue du Commandeur, ci-devant père d'Elena, qui exige illico presto un mariage avec Roderigo! L'amour libre merci bien, et pourquoi pas un club échangiste sur les rives du Loch Ness?
Ni une, ni deux, la tendre héroïne s'en va méditer au bord de son lac, rêvasse car prise au piège de ses désirs et de la politique, telle une Madame Bovary brumeuse, déjà presque sœur d'une autre fêlée du bulbe et presque voisine: Lucia di Lammermoor...
Il faut donc un sacré culot pour donner vie en concert à cet imbroglio proche d'un roman-photo que nos grands-mères adoraient...
Chapeau bas au plateau réuni qui a fait de ses trois longues heures de musique un moment de pure délectation car tous sont à cette joie de chanter qui nous a fait toucher plus d'une fois à la perfection.
Haut, très haut nous placerons le Rodrigo d'Enea Scala, beau comme il n'est pas permis, au zénith de sa forme, qui allie vaillance et sûreté de la technique, beauté simple mais étudiée du son et du chant, élégance virile du phrasé, étourdissant, qui tel un aimant attire toute l'attention du public, le laisse rêveur, interdit, choqué. On dirait un Gérard Philipe à l'opéra déjouant les pièges d'une partition impossible, maîtrisant sans vergogne les vertiges, les voltiges d'une tessiture peu confortable.
Somptueuses répliques d'Edgardo Rocha, Giacomo sûr de ses droits et privilèges, plein d'ardeur, de fougue, sans défauts, qui donne lui aussi le frisson avec ses suraigus parfaitement maîtrisés, tandis que Nicola Ulivieri, basse de qualité à l'ampleur majestueuse, semble comme personne chez lui dans Rossini, car voici un Douglas tout de rythme, de couleurs, de prestance.
Très attendue, Varduhi Abrahamyan en Malcolm nous renvoie à un âge d'or que l'on croyait perdu. Distinction, musicalité de tous les instants, sensibilité, autorité et fierté d'un chant si particulier réservé à ce rôle de travesti car voix sombre, ductile, puissante, à l'ébouriffante agilité.
L'Elena de Karine Deshayes sait de belle manière épouser la ligne extatique des "Mattutini albori", glisse malicieusement quelquefois vers Bellini ou Donizetti, reste toujours raffinée, polie, apporte de jolies contrastes à son personnage et nous emballe dans un rondeau final "Tanti affetti" caracolant comme pas deux, véritable feu d'artifice vocal.
José Miguel Pérez-Sierra maîtrise son sujet (la partition) et son instrument (l'Orchestre philharmonique de Marseille). On relèvera ici et là une dramatisation extrême mais on se sent emporté par ce débordement de vitalité, ce bouillonnement expressif. Et l'orchestre sonne, rutilant, souple, incisif, sans vulgarité, bref, convaincant.
Chœur dynamique, plein de relief, aux éclats guerriers réjouissants et reste de la compagnie (Carpentier-Mathieu) de belle prestance, sans reproche, vivifiant.







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