Un prince saoudien investit dans le club de Sedan: quand le football devient un outil diplomatique


Par Rédigé le 13/02/2016 (dernière modification le 12/02/2016)

L'entrée au capital du club de football de Sedan d'un prince saoudien, bien que surprenante, est loin de faire exception. Devenu un marché économique à fort potentiel, le football semble émerger peu à peu comme un enjeu des relations internationales.


Nasser Al-Khelaïfi, président du Paris Saint-Germain, Thierry Antinori, vice-président exécutif d’Emirates et Zlatan Ibrahimovic, Photo © Christophe Pelletier

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L'annonce fait la une de la presse régionale (voir L'Union du 23 janvier 2016) et rend perplexe les observateurs (voir le reportage du Canal Football Club du 31 janvier): le neveu de feu le roi Abdallah d'Arabie Saoudite, le prince Fahad, a officialisé son entrée au capital du CSSA (Club Sportif Sedan Ardennes), modeste club de National (troisième division française).
Repris en août par Marc Dubois, également président de la société Airplus - une entreprise spécialisée dans la construction de résidences médicalisées - après la liquidation judiciaire et la relégation en CFA2 (5e division), le club était à la recherche d'investisseurs étrangers.
Objectif atteint avec le partenariat noué avec le prince saoudien, qui a promis plus de 40 millions d'investissements en échange notamment de la promesse de construire des maison de retraite "made in France" en Arabie Saoudite, pays à la traîne en matière d'équipements de santé.
Interrogé par le Canal Football Club, le prince Fahad est très ambitieux et déclare vouloir gagner la Ligue des Champions, la plus prestigieuse compétition de clubs, avec les Sangliers, le surnom du club sedanais. Alors que nombre de commentateurs se demandent ce qui a bien pu poussé le prince à venir dans les Ardennes, celui-ci explique que l'endroit est géographiquement stratégique, la ville étant plus ou moins frontalière de la Belgique, du Luxembourg et de l'Allemagne, et que le CSSA est susceptible d'attirer une forte affluence.


Un phénomène loin d'être isolé

Si le cas du Paris Saint-Germain (PSG), racheté par le Fonds d'investissement souverain du Qatar en 2011, fait figure de référence, le rachat de clubs français par des investisseurs étrangers est une vraie tendance de fond. Dernier en date, l'OGN Nice vient d'annoncer l'arrivée dans son capital d'un binôme de deux hommes d'affaires anglais et saoudien qui vont racheter 49% du club avant d'en prendre le contrôle total d'ici quelques années. De même, le FC Sochaux, possession historique de la marque Peugeot, a été rachetée par la société chinoise Ledus l'an dernier tout comme Le Havre par un homme d'affaires américain. Citons aussi les cas de Monaco et de Lens rachetés récemment par des investisseurs russe et azerbaïdjanais.
La France n'est d'ailleurs pas une exception puisque de nombreux clubs européens voient l'arrivée d'investisseurs étrangers. Si ces derniers viennent majoritairement du Golfe (Abu Dhabi à Manchester à City, le Qatar à Malaga), les deux premières puissances économiques sont aussi représentées (un Américain à Manchester United, un Chinois à l'Atlético Madrid).
Pourquoi alors investir en Ligue 1, championnat secondaire sportivement et financièrement par rapport aux mastodontes anglais ou espagnol? Justement parce que la Ligue 1 est le dernier "grand championnat" dans lequel il est possible d'investir sans que le ticket d'entrée soit énorme. A cela s'ajoute la situation économique française difficile: les banques sont réticentes à prêter aux clubs, les collectivités locales sont exsangues et les investisseurs étrangers apparaissent souvent comme la planche de salut pour redresser des clubs dans l'impasse financière.

La nouvelle diplomatie du football

Parce qu'il est le sport le plus populaire au monde, le football est en train de devenir un outil à part entière du soft power de certains pays du monde. Les pays du Golfe ont pris de l'avance dans ce domaine à l'image du Qatar ou des Émirats Arabes Unis. Outre le rachat de clubs, les entreprises du Golfe investissent massivement dans le sponsoring (la compagnie aérienne Emirates fait apparaître son logo sur les maillots du Real Madrid, du PSG, d'Arsenal et du Milan AC) mais aussi dans les médias spécialisés comme l'illustre la montée en puissance de la chaîne Bein Sport, filiale du groupe qatarien Al-Jazeera. De plus, le championnat qatari attire de plus en plus de stars du football et le pays a obtenu, à la grande stupéfaction de nombre d'observateurs, l'organisation de la Coupe du Monde en 2022.
Néanmoins, d'autres puissances misent également de plus en plus sur le sport numéro 1 et notamment la Chine - le président Xi Jinping est un fan de football - qui, en plus d'investir dans de plus en plus de clubs, cherche à développer son championnat national. Si cette stratégie n'en est qu'à ses prémices, l'arrivée récente de plusieurs joueurs confirmés (Drogba, Ramires, Gervinho) dans le championnat chinois laisse augurer d'un certain succès.

Au delà de la diplomatie sportive, ces investissements dans le football répondent aussi à une nécessité économique plus empirique: face à la crise de leurs modèles économiques (rente pétrolière en chute libre pour les pays du Golfe, ralentissement du modèle industrialiste en Chine), ces pays se doivent de diversifier leurs investissements et le marché du football, potentiellement très lucratif apparaît comme un placement judicieux.
Entre instrument diplomatique et impératif économique, le football est appelé à devenir plus qu'un sport; il sera sans aucun doute dans les prochaines années un véritable enjeu des relations internationales.







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