Guides sur la parentalité : une infinie course au bien-être ?


Par Le Podcast Journal Rédigé le 29/08/2021 (dernière modification le 19/08/2021)

Un article de Claude Martin - Sociologue, titulaire de la chaire de recherche Enfance, bien-être, parentalité, École des hautes études en santé publique (EHESP). Un article repris du site THE CONVERSATION.



On peut avoir l’impression en regardant les présentoirs des librairies que les guides destinés aux parents se multiplient. Ce phénomène n’a pourtant rien de nouveau. C’est dès l’après-guerre que le conseil aux parents est devenu un véritable marché. Les experts en ce domaine forment une longue chaîne, plus ou moins inscrite dans le monde académique, allant aux États-Unis de Benjamin Spock à John Rosemond, en passant par Thomas Brazelton et, en France, de Laurence Pernoud à Isabelle Filliozat, promotrice de la parentalité positive, en passant par Françoise Dolto, pédiatre et psychanalyste des enfants, et ses fameuses « causeries » radiophoniques.

Ces conseils aux parents se nourrissent des savoirs sur le développement de l’enfant. Ann Hulbert en a écrit l’histoire pour les États-Unis, passant en revue différentes écoles de psychologie faisant appel à la construction cognitive, ou affective et relationnelle, et bientôt neurologique de l’enfant.

Dans le cas français, on peut repérer quelques prémices dans l’entre-deux-guerres, avec la création en 1929 de « l’École des parents », par quelques notables et militants de la cause familiale, alliés à des figures de la pédopsychiatrie et de la psychologie de l’époque. Les inventeurs de l’École des parents critiquaient alors le rôle jugé trop intrusif des agents de l’État sur le terrain de l’éducation des enfants. Un des sujets sensibles concernait l’éducation à la sexualité. L’État aurait selon eux franchi une limite en invitant les instituteurs, ces « hussards de la République », à sensibiliser les adolescent·e·s à cette question de la sexualité.

Cette association de parents a donc entrepris de défendre le rôle propre des parents. Certaines des figures de ce mouvement, dont sa première Présidente, Mme Vérine, a été jusqu’à défendre sur cette question de la famille le programme de la Révolution nationale de la France de Pétain. L’école des parents a connu un nouvel élan sur d’autres bases après-Guerre, dès 1946, sous la présidence d’André Isambert, l’auteur de l’ouvrage « L’éducation des parents », publié en 1968.

Les mères en première ligne

Peut-on dire que ces guides dessinent en creux un « bon modèle » de parentalité ? L’idée même de guide signifie que l’on se place sur le terrain de la norme et des valeurs. En s’attachant à démontrer l’efficacité de certaines pratiques, on en vient directement à les positionner sur une échelle opposant les bonnes et les mauvaises pratiques parentales ou, pour le dire autrement, à distinguer les parents compétents et les parents incompétents ; les parents responsables et les parents coupables…

En tous les cas, on en vient à défendre un certain déterminisme du rôle des parents à qui l’on pourrait attribuer la responsabilité des échecs comme des réussites de leur progéniture, ce qu’a bien souligné un auteur comme Frank Furedi dans son ouvrage Paranoid parenting.

Ceci n’implique pas pour autant que tous ces conseils soient homogènes, et donc que ces guides renvoient à un même modèle – pas plus d’ailleurs que cela ne veut dire que leurs recommandations soient applicables. Par exemple, même si un expert en neurosciences défend aujourd’hui qu’il faudrait idéalement interdire les écrans à tous les enfants de moins de six ans, il est clair que cet objectif est très compliqué à concrétiser ; non seulement à cause de l’omniprésence des écrans, des usages de ces instruments par les adultes, mais aussi quand on tient compte du fait que nous avons dû compenser nos liens sociaux et les apprentissages scolaires en période de confinement par le recours à ces écrans.


Si ces guides s’adressent en apparence à tous les parents, les destinataires implicites en restent encore souvent les mères. Depuis que les pouvoirs publics ont manifesté leur attachement aux enjeux de survie et de socialisation des enfants, au début de la Troisième République, la cible de toutes les premières politiques dédiées a été les mères, et en particulier les primipares de milieu populaire. On peut pour s’en convaincre relire les fameux travaux de Catherine Rollet ou ceux d’Alain Norvez.

En inventant dans les années 1950 la notion de parentalité, on aurait pu croire que les pères et les mères étaient sur un pied d’égalité en matière de soutien à la parentalité. Or il n’en est rien. Comme le défend la sociologue Mary Daly, il s’agit de mesures qui sont davantage « gender blind » (aveugles à la question du genre) que « gender neutral » (neutres du point de vue du genre).

Pensée positive

Le phénomène des guides de parentalité serait-il une simple facette de la vogue du développement personnel ? D’une certaine manière, ces ouvrages de « bonnes pratiques » parentales ont partie liée avec les guides de bien-être. Une fois encore, l’entre-deux-guerres est un terreau de ces méthodes. Tout le monde connaît ainsi la fameuse méthode Coué, basée sur l’autosuggestion et inventée par le pharmacien Émile Coué dans les années 1920.

Des auteurs comme Edgar Cabanas et Éva Illouz, dans Happycratie, ou Carl Cederström et André Spicer, dans Le syndrome du bien-être ont proposé une généalogie de ces techniques de développement personnel, qu’elles concernent la vie privée ou la vie professionnelle. Parmi les messages récurrents au fil du temps, on trouve celle de la vision positive ou de l’esprit positif. Un des premiers exemples aux USA est certainement l’ouvrage de 1952 du pasteur protestant, Norman Peale, intitulé : The Power of Positive Thinking (le pouvoir de la pensée positive), dans lequel l’auteur dispense toute une série de méthodes pratiques destinées à redonner la confiance en soi nécessaire à toutes les victoires.


Avec Martin Seligman, le Président de la puissante Association américaine de psychologie dès 1998, la psychologie positive donne une forme de consécration scientifique à ces idées, mais aussi de formidables ressources, grâce aux soutiens financiers de l’armée américaine et de nombreuses grandes entreprises. Les derniers avatars de ces courants d’idées et de ces méthodes concernent l’éducation positive et la parentalité positive.

Dans un monde obsédé par les idées de réussite et de concurrence, par la quête de l’optimisation de ses compétences et de ses performances, la demande adressée aux vendeurs de conseils et de méthodes de réalisation de soi est exponentielle. Le paradoxe est que ces guides et conseils en réussite, en bien-être et en bonheur ont plutôt tendance à faire porter à ceux qui appliquent ces méthodes la responsabilité de leurs échecs. En individualisant les conditions de la réussite, on en vient à négliger les conditions structurelles du bien-être, à négliger l’enjeu collectif et politique du bien-être.

Parce qu’ils espèrent presque tous faire le mieux possible, les parents sont des clients faciles pour les vendeurs de solutions toutes faites. Il serait aisé de faire une longue liste de best-sellers en la matière. On pourrait aussi rappeler ce que pèse aujourd’hui le marché de la thématique parentalité dans la presse « family », d’hebdomadaire et de mensuels. Non seulement ce marché est porteur, mais il a encore de beaux jours devant lui, à la mesure sans doute des inquiétudes parentales.





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