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Bénin: Le troublant succès des télénovelas


Par Rédigé le 19/07/2010 (dernière modification le 22/07/2010)

Ces téléfilms venus d’Amérique du sud inondent l’espace télévisuel du Bénin. Certains parlent de pollution des écrans. D’autres s’inquiètent déjà de ce que l’engouement sans cesse grandissant du public est en bonne voie de mettre en péril les productions audiovisuelles locales et surtout les valeurs culturelles endogènes.


A l’heure des telenovelas, la mobilisation va au-delà des membres de la famille. (Crédit : Polycarpe TOVIHO)
A l’heure des telenovelas, la mobilisation va au-delà des membres de la famille. (Crédit : Polycarpe TOVIHO)
Tous les jours, le même ballet de zapping entre trois des cinq chaînes de télévision du Bénin. A 20h30, deux chaînes ouvrent simultanément le bal des télénovelas. Canal 3, la dernière née des chaînes de télévision, lance La fille du jardinier, un téléfilm mexicain pendant que la première chaîne privée LC2 s’invite dans les ménages avec Entre justice et vengeance. La concurrence est rude entre les deux chaînes. Canal 3 garde l’avance sur sa concurrente en diffusant Barbarita, un autre feuilleton. Mais elle ne croit pas si bien s’en sortir puisqu’en ce moment précis, elle doit partager l’audience avec l’ORTB, la chaîne de service public qui détient l’effarant record en termes de quantité de télénovelas diffusés ou en cours de diffusion.
Sur les 13 télénovelas présents sur l’espace télévisuel béninois depuis 2009, l’ORTB en diffuse huit sans compter un téléfilm dans le même genre mais d’origine indienne, Vaïdehi. Certains de ces huit télénovelas sur l’ORTB ont fini, d’autres continuent avec la même trame : rires, pleurs, sexe, argent, intrigues, trahison, gloire, glamour...des femmes appétissantes, des résidences de rêve, des plages paradisiaques…le tout sur fond de rebondissements.

Une audience à 95%

Aux heures de diffusion des télénovelas, l’ambiance baisse d’un cran dans les rues de Cotonou. Difficile de trouver un zémidjan, ces célèbres conducteurs de taxi-moto de la ville dont la plupart vont s’agglutiner devant les ateliers de dépanneurs de télé qui ont toujours un ou plusieurs postes allumés dans un coin de rue. Un service gratuit que l’on retrouve également dans les ménages : ceux qui possèdent de poste téléviseur accueillent volontiers les voisins qui n’en ont pas. Comme c’est le cas ce jeudi de mai chez les Kangni qui, comme tous les soirs, ont reçu des voisins, petits et grands, dans leur petit salon : certains sont assis à même le sol, d’autres sont à la fenêtre ou devant la porte dans un silence relatif. Si de petits commentaires sont permis sur les comportements de tel ou tel personnage, gare aux gorges chaudes ! Le holà de M. Kangni peut aller jusqu’à l’expulsion. A quelques pâtés de maison de là, chez les Amoussou, le constat est tout autre. Le chef de famille vient de rentrer et met péremptoirement fin au feuilleton en cours sur LC2 en zappant vers Canal3 qui passait le match retour entre Barcelone et Inter de Milan. Au grand dam de ses deux filles et de leur maman qui ne tentent pas moins de lui montrer qu’il devait être un peu plus démocrate. «Soyez raisonnables ! Le feuilleton sera rediffusé demain à 14 heures et vous pouvez regarder sans problème…», décrète M. Amoussou qui a visiblement l’habitude d’exercer la police de la télécommande sans aucune concession. «Je n’arrive pas à me passer de ce feuilleton…», se désole Mme Amoussou, insinuant qu’elle allait taper chez un ménage voisin pour continuer de regarder le feuilleton. Le niet de son mari était sans appel.
Dans beaucoup de ménages, la diffusion des télénovelas est source de conflits, notamment entre la femme fan et son mari à propos de l’heure du repas par exemple. «Je ne sais pas ce que les femmes trouvent dans ces films-là. Pour limiter les querelles chez moi, j’ai dû acheter un petit poste télé dans ma chambre», confie Bernard. C’est également pour enrayer l’esprit de dispute que Mélanie (29 ans), secrétaire de direction et vivant en couple, a choisi de ne suivre les feuilletons qu’aux heures de rediffusion le lendemain : alors, elle ne rentre plus à la maison à l’heure de la pause entre 12h30 et 15h30 et mobilise à elle seule la télé de la salle d’attente de son service pour assouvir sa passion. «Ces feuilletons me permettent de comprendre des choses intéressantes dans les relations entre homme et femme. On y parle beaucoup d’amour et c’est ce qui nous concerne en premier chef nous les filles», fait observer Mélanie. Martine (19 ans), étudiante, explique sa passion pour ces téléfilms par son souci «d’être à la mode, de bien vivre ma vie de jeune fille et de rêver grand c’est-à-dire être un jour, à l’image des jeunes stars de ces feuilletons».
Les télénovelas constituent un phénomène social qui ne laisse plus personne indifférent. Le monde mercantile a récupéré la passion générale en s’investissant dans des produits portant les noms des héroïnes de ces feuilletons. Des chaussures, des cosmétiques, des tissus frappés «Marimar», «Rubi»…des héroïnes ayant «marqué le public par leur droiture ou leur perversité dans l’amour». Les prénoms à consonance latino sont à la mode…
A l’examen national comptant pour le Brevet d’études pour le premier cycle (BEPC) de 2008, les élèves ont été invités à disserter sur l’impact de ces séries sur les comportements humains. Les thèses de mémoire se multiplient sur le sujet. Un sondage réalisé dans ce cadre auprès de 100 ménages incluant environ 500 personnes à Cotonou, Porto-Novo et Adjarra, a donné des résultats effarants sur le succès des télénovelas : 95% des interrogés ont déclaré leur flamme pour ces feuilletons. Pour ces sondés, explique Achille Oussou qui a réalisé l’étude, «les feuilletons éduquent parce qu’ils présentent, au-delà des fictions, des situations réelles, des cas de difficultés, de désespoir, de trahison, de cause perdue qui peuvent, ne sait-on jamais, arriver à n’importe qui dans la vie. Ces feuilletons permettent de savoir les attitudes à tenir pour se tirer d’affaire. Ils éduquent aussi sur le sens du bien, de la justice et du beau». Il n’y a que 2% des sondés qui détestent ces séries sud-américaines. Ce sont en majorité des hommes et des personnes du 3e âge. Dans l’ensemble, «ils estiment que les feuilletons ne collent pas avec les réalités africaines et avilissent nos cultures».

Dépravation des mœurs ?

Les hommes déplorent que ces feuilletons occupent les femmes au détriment des tâches ménagères et les rendent plus aptes à papoter. «Les rares fois où j’ai regardé ces feuilletons, j’ai été indisposé, en présence de mes enfants, par les scènes érotiques», souligne Marius (47 ans). Un avis que partagent les gens du 3e âge. «Pour la plupart de ces derniers, ces films exposent les plus jeunes à la vie facile, à la malhonnêteté et à la brutalité ; ils indisposent surtout les valeurs africaines de pudeur du fait de l’exposition des corps nus, l’habillement relâché des femmes, les scènes d’amour…», rapporte M. Oussou. «J’ai été choquée d’apprendre récemment dans la presse que l’âge moyen auquel les filles connaissent leur premier homme, c’est 12 ans. Comment peut-on faire l’amour à cet âge ?», s’indigne Arlette (68 ans), institutrice à la retraite qui impute ouvertement le fait aux télénovelas. «Le respect des adultes est en très nette baisse dans notre société et je crois que les télénovelas sont en partie responsables», constate Roger, 51 ans.
Les acteurs de la filière des télénovelas ne démentent pas l’influence négative de leurs produits. Alexis Gnanguènon, directeur général de BG Communication qui a placé plusieurs feuilletons sur le marché avoue : «il y a une dépravation des mœurs. En termes de moralité, la population a tendance à imiter le côté négatif des héroïnes des feuilletons. Les jeunes filles deviennent arrogantes et matérialistes. Il y a une banalisation des valeurs morales. Mais ce qui est étonnant, c’est que les populations voient bien que ceux qui jouent ces rôles dans les films finissent mal et pourtant, ce sont eux qu’ils imitent».
Le sociologue Jean-Marc Sogbossi juge les télénovelas peu éducatifs. Mais, précise-t-il, «en cette période de crises économique, sociale et même culturelle, ces films permettent aux gens de s’évader. Ce sont, comme le souligne un confrère sénégalais, des amortisseurs sociaux qui empêchent la poêle de sauter».

Les diffuseurs sur la sellette

Les professionnels de l’audiovisuel sont aussi gênés par l’ampleur et le succès des télénovelas. Maxime Ahotondji, journaliste à la télévision nationale, explique que la situation est due à l’absence de productions locales. Sous le titre, «Ces envahisseurs qui viennent d’Amérique !», un journaliste culturel, Kokouvi Eklou, dénonce «une sorte de voyeurisme dont se délectent des millions de familles africaines tous les soirs...à travers des thématiques qui bousculent les habitudes et les mœurs». Surtout, il met l’accent sur la facilité dans laquelle sont tombées les chaînes de télévision qui ne font aucun effort pour produire local. «Il ne sert à rien d’investir d’immenses ressources dans les infrastructures et continuer à ne jouer qu’un simple rôle de relais serviles des programmes de l’étranger. Il importe donc de produire des émissions, des magazines, des programmes conformes à notre identité culturelle, aptes à répondre aux besoins réels et aux aspirations des Béninois», souligne l’ancienne directrice de la Télévision nationale, Pierrette Amoussou dont l’ambition déclarée au moment où elle était aux affaires, était de «faire en sorte que les 80% de la grille des programmes aient un label local». Elle n’a pas réussi tout comme ceux qui sont venus après elle.
Le responsable du service des programmes de la Télévision nationale, Justin Migan, appelle à mettre la balle à terre, estimant que la diffusion de ces programmes est un moment commercial important pour une chaîne qui n’a pas beaucoup de moyens. D’ailleurs, renchérit Malick Gomina, directeur général du groupe Fraternité propriétaire de la chaîne Canal3, «la diffusion des telenovelas obéit à une réelle volonté de répondre à la forte sollicitation des téléspectateurs. N’oublions pas que c’est le public qui est en demande».
Le gouvernement béninois semble ne pas avoir les moyens d’arrêter l’accoutumance aux feuilletons venus d’Amérique du sud. Pour limiter, entre autres, leur impact sur la consommation sur les productions nationales, il a créé, en 2008, le Fonds d’appui à la production audiovisuelle (FAPA). Ce fonds est destiné aux professionnels indépendants de l’audiovisuel, agences de production audiovisuelle et aux stations de télévision privées et publiques. Les retombées de cet appui sont toujours attendues. Pour l’instant, les télénovelas dictent leur loi.
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