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Qui a tué Olof Palme?


Par Rédigé le 20/02/2019 (dernière modification le 20/02/2019)

Olof Palme est un homme politique suédois. Leader du parti social-démocrate, à l’origine de mesures réformistes et progressistes et d’une politique internationale engagée, il a été Premier ministre de 1969 à 1976 et de 1982 à 1986. Le 28 février 1986, il a été assassiné dans les rues de Stockholm, alors qu’il rentrait du cinéma avec sa femme. Qui se cache derrière ce crime, toujours irrésolu 30 ans après?


Le livre de l'enquête de Jan Stocklassa. Photo (c) Isabelle Lépine
Le livre de l'enquête de Jan Stocklassa. Photo (c) Isabelle Lépine
olof_palme.mp3 Olof Palme.mp3  (12.12 Mo)

Très vite, l’enquête s’est orientée sur plusieurs pistes: le PKK, l’extrême-droite suédoise, les services secrets sud-africains, un déséquilibré solitaire...

En réalité, force est de constater que les investigations piétinent...

Alf Enerström: la courroie de transmission
En 2010, à la faveur d’un projet de livre sur les lieux d’homicides spectaculaires et sur la façon dont les espaces conditionnent les comportements, l’ancien diplomate et journaliste Jan Stocklassa s’intéresse à un appartement de Norr Mälarstrand, à Stockholm, qui a été le témoin d’un triple meurtre domestique en 1932 (le père, la bonne et la cuisinière ont été froidement assassinés par le fils de la maison, qui a lui-même tué sa femme avant de se suicider lorsque la police l’a rattrapé). Bien que situé dans l’un des plus beaux immeubles de Stockholm, cet appartement est ensuite demeuré inhabité pendant des décennies, jusqu’à ce que, près de 50 ans plus tard, le médecin Alf Enerström et son épouse, l’actrice Gio Petré, s’y installent.

Alf Enerström était un riche médecin qui avait des velléités politiques. Après être passé d’un parti à l’autre, il s’était un temps déclaré social-démocrate et avait à ce titre eu l’occasion de travailler un peu avec Palme. Mais ses positions trop ouvertes n’étaient pas du goût d’Enerström, et son projet de légalisation de l’avortement a été le point de rupture. Nous sommes au début des années 1970. Enerström décide alors de créer son propre parti, le mouvement de l’Opposition sociale-démocrate. Il déclare la guerre à Palme, qui devient du jour au lendemain son pire ennemi, et s’acharnera dès lors à le combattre, tout en se rapprochant de l’EAP (Europeiska Arbetet Partie), un parti d’extrême-droite qu’il contribuera à financer. Très rapidement, Enerström présente des troubles d’ordre psychique, son fils lui sera retiré par les services sociaux, sa femme le quittera et il sera interné en psychiatrie.

En cherchant à en apprendre plus sur lui et à remonter le fil de sa vie, Stocklassa croise la route d’une autre enquête, conduite sur un tout autre sujet quelques années plus tôt, par Stieg Larsson, le célèbre auteur de la trilogie Millenium. Ce que l’on sait moins sur lui, c’est que Larsson était en réalité d’abord et avant tout un journaliste d’investigation de haut vol, qui a dédié une grande partie de sa vie à enquêter sur les mouvements d’extrême-droite, dont il n’a eu de cesse de combattre la montée en Suède. Larsson avait fait des liens entre ces milieux et le meurtre d’Olof Palme, et avait commencé à enquêter aussi de façon très poussée sur l'assassinat du Premier ministre.

​Un imbroglio d’agents secrets

Larsson était arrivé à la conclusion que ce crime était imputable aux services secrets sud-africains, aidés dans leur mise en œuvre par des extrémistes suédois. Olof Palme était en effet l’une des grandes figures mondiales de la lutte contre l’apartheid dans les années 1980, et au moment de son décès, il présidait une Commission qui venait précisément de lancer une campagne contre les marchands d’armes qui faisaient des affaires avec le régime de l’apartheid, et visait, de façon plus large, à poser avec d’autres leaders politiques, les bases d’un désarmement.

L’Afrique du sud a par ailleurs joué un rôle clé dans l’affaire "Iran-Contra", scandale politico-militaire selon lequel, dans les années 1980, les États-Unis, l’Afrique du sud et l’Iran se seraient livrés à un commerce d’armes orchestré par la CIA, contre l’avis du Congrès américain, pour financer le soulèvement des Contras au Nicaragua. Dans cette affaire, l’Afrique du sud jouait un rôle d’acheteur de pétrole à l’Iran et de fournisseur d’armes et d’explosifs à son attention, mais permettait aussi l’organisation du trafic à travers une série de pays de transit. Les autorités suédoises auraient mis à mal cette organisation en coupant les livraisons destinées à l’Iran.

Selon Stocklassa, dans cette drôle d’"alliance de circonstance" entre les États-Unis, l’Iran et l’Afrique du sud, il était impensable que l’assassinat du Premier ministre suédois puisse être imputé aux États-Unis. Les conséquences internes et externes auraient été terribles pour le pays, et la CIA ne pouvait décemment pas prendre le risque de s’en charger. Dès lors, ce sont ses alliés des services secrets sud-africains qui auraient accepté la mission, afin de couvrir les Américains, en échange de leur soutien au régime d’apartheid. Ils auraient été d’autant plus encouragés en cela que quelques ministres et marchands d’armes sud-africains avaient des intérêts personnels très juteux à défendre dans cette affaire...

L’un des témoins interviewés par Stocklassa résumera d’ailleurs ce propos en disant que "les agents secrets sud-africains faisaient le sale boulot du gouvernement d’Afrique du sud, qui faisait le sale boulot des gouvernements occidentaux". Il pointe aussi que l’apartheid a été, dans une certaine mesure, un outil de politique internationale et un levier de négociation diplomatique entre certains gouvernements.

L’hypothèse de Larsson, relayée par Stocklassa, est donc que l’assassin avait des contacts en Afrique du sud et que le meurtre était lié au trafic d’armes dans ce pays. Il n’exclut pas la possibilité qu’un policier suédois ou un informateur de la SÄPO (les services de Renseignement suédois) ait pu être aussi impliqué. L’Afrique du sud a utilisé des intermédiaires pour trouver sur place des personnes en mesure d’aider à l’exécution d’Olof Palme, tandis qu’un commando sud-africain en assurait toute la planification, en surveillant notamment en amont les allers et venues du Premier ministre pour définir le moment et le lieu opportuns.

Cette logistique complexe est basée sur un principe de stratégie classique qui veut que chaque élément de l’organisation ne soit au courant que de la mission précise qu’il a à accomplir, sans jamais avoir de vue d’ensemble, de façon à ne pas pouvoir mettre en péril l’intégrité du dispositif, s’il en vient à être arrêté.

Ce scénario s’est appuyé de façon opérationnelle sur une cellule suédoise dans laquelle Enerström a sûrement joué un rôle. Il est décédé en 2017, mais un personnage proche de lui, ignoré par Larsson et peu investigué par la police, est encore en vie. Il s’agit de Jakob Thedelin (le nom est un nom d’emprunt visant pour l’instant à préserver son anonymat).

Dans son ouvrage "La folle enquête de Stieg Larsson", paru l’année dernière en Suède et qui vient d’être traduit en français aux éditions Flammarion, Jan Stocklassa raconte comment sa rencontre inopinée avec l’enquête de Larsson lui a donné envie de poursuivre l’investigation là où il l’avait laissée, mais en orientant ses recherches sur la piste de ce nouveau protagoniste.


Jakob Thedelin: le bras armé

Jakob Thedelin est né au début des années 1960. Il dit que depuis l’âge de 12-13 ans, il rêvait de tuer Palme. C’était comme une sorte de fixation pour lui, de libérer le pays de son joug.

Au début des années 1980, alors tout juste âgé de 20 ans, il contacte Enerström, se disant très intéressé par ses campagnes contre Palme. Il portait alors souvent une perruque et se faisait appeler Rickard. Il deviendra rapidement une sorte d’homme de confiance/secrétaire particulier, au service d’Enerström pendant au moins quinze ans, apparemment sans même s’être jamais fait payer. Il a ensuite travaillé comme garde-malade dans un hôpital, puis est allé en Israël, avant de revenir en Suède. En 2013, il disait travailler pour un parti politique, les démocrates suédois. Il dit aussi avoir travaillé pour la CIA. Thedelin était convaincu que Palme était un traître à la solde de l’Union soviétique, "qui allait vendre la Suède aux Russes". Selon lui, il a été assassiné par le KGB, parce qu’il était sur le point d’être démasqué.

Thedelin présente une personnalité visiblement fragile psychologiquement. Il dit que son père est mort à cause de lui, puis qu’il a été impliqué dans quelque chose qui a tué sa mère. Et que c’est la raison pour laquelle le Roi Salomon lui a dit que Dieu avait pris sa part dans l’héritage de ses parents et ne lui avait rien laissé. "i[C’était à une autre époque, il y a deux milles ans. J’avais une chance d’entrer dans l’histoire, mais un ange... L’ange m’a dit trop tard de descendre. Et j’ai pensé, peut-être que le temps s’écoule différemment ici? Mais mon entreprise devait être longue, alors je m’en suis voulu de ne pas être descendu à temps. [...] J’ai essayé de faire justice. Le prophète Paul prétendait être Jésus, il mentait. Alors je suis descendu pour tenter de l’assassiner car je savais qu’il était dangereux]i".

Ce genre de délires hallucinés qui convoquent une dimension mystique, associée à des théories du complot, un sentiment de culpabilité et une fascination pour les services secrets (même si, dans le cas présent, c’est aussi une réalité possible) est assez typique de certaines formes de décompensation psychotique et de signes cliniques à caractère schizophrénique.

A ce propos, d’ailleurs, on ne souligne pas assez le déséquilibre psychologique de certains protagonistes de l’affaire Palme, et, de façon plus large, leur surreprésentation dans les mouvements d’extrême-droite, néo-nazi en particulier. Ce phénomène a été analysé par le sociologue canadien Everett C. Hugues dans son article de 1962 "Good People and Dirty Work", où il s’intéresse au profil des SS. Il rappelle que les différentes études sur leur personnalité et leur environnement convergent pour dresser le portrait, dans une large proportion, de "gescheiterte Existenzen", du verbe allemand "scheitern", qui signifie "échouer". Donc littéralement des "existences échouées", des vies ratées. "Des hommes ou des femmes avec une histoire d’échec, qui peinaient à s’adapter aux exigences des codes de classe et de travail de la société dans laquelle ils avaient été élevés". On dirait aujourd’hui communément des "losers", mais des losers rancuniers, avec aussi derrière l’idée d’une aigreur et d’une amertume liées à leurs échecs, et qui souhaitent en découdre, en rendre responsables les autres et les faire "payer".

Au-delà du possible objectif de dissimulation que cela pouvait représenter, le fait que Thedelin porte une perruque et se fasse appeler Rickard peut abonder la piste des troubles mentaux, et notamment de troubles dissociatifs de l'identité. Deux éléments parlent en faveur de cette hypothèse:
1 - Le fait que la perruque était totalement repérable comme telle, dans la mesure où Thedelin la mettait apparemment si mal que l’on aurait dit un bonnet, qui lui faisait une masse étrange et très remarquable sur la tête.
2 - Même si cela aurait pu devenir une "couverture" par la suite et notamment après le meurtre, ce déguisement n’était pas nécessaire la première fois où "Rickard" est allé rencontrer Enerström, ni durant toutes les années pendant lesquelles ils ont travaillé ensemble. Or, pendant tout ce temps, Thedelin portait souvent sa perruque et se faisait souvent appeler Rickard. A sa mère, qui craignait de le voir s’engager en politique, il aurait dit que c’était pour se protéger. Ses parents reviennent par ailleurs souvent dans son discours. Les relations qu’il a pu entretenir avec eux et les circonstances de leur décès restent inconnues. Sans doute y aurait-il là une piste d’investigation importante pour mieux comprendre le comportement complexe du personnage.

Au fur et à mesure de la progression de l’enquête de Stocklassa, sentant sans doute le piège se refermer sur lui, Thedelin est parti se réfugier en Israël.

Reste une ressemblance saisissante avec le portrait-robot du meurtrier effectué par les services de police, jusqu’à la présence d’un grain de beauté au-dessus du coin supérieur droit de la lèvre.

Selon la théorie de Stocklassa, Thedelin aurait déposé l’arme du crime dans un coffre à sa banque, en Suède. Tous les éléments sur lesquels se fonde son hypothèse ont été transmis l’année dernière à la justice suédoise. La suite de l’histoire est entre leurs mains...








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