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Le Podcast Edito - Cinquante nuances de Grey: lire attentivement le contrat avant de jouir


Rédigé le 11/11/2012 (dernière modification le 11/11/2012)

Avec plus de 45 millions d’exemplaires vendus dans le monde depuis sa publication en 2011 et un record historique des ventes en France - plus de 40.000 selon son éditeur - quelques jours à peine après la sortie du premier tome, "Fifty Shades of Grey", le "mommy porn" de la Britannique Erika Leonard James devient une curiosité littéraire et un objet d’étude. Lecture psychanalytique.


Le Podcast Edito - Cinquante nuances de Grey: lire attentivement le contrat avant de jouir
podcastgrey.mp3 PodcastGrey.mp3  (4.05 Mo)

La couverture annonce un roman "obsédant", "libérateur et totalement addictif" qui narre l’histoire d’une rencontre entre une vierge romantique et un magnat pervers sur fond d’expériences sadomasochistes. A moins d’y déceler un subtil stratagème de l’auteur nous punissant avant même de nous donner satisfaction - règle fondamentale du sadisme, selon Théodor Reik - et sauf à être débordé par le plaisir solitaire conduisant à la "jouissance de l’idiot", le lecteur sera déçu. Et ce, pour plusieurs raisons.

E.L. James a, en premier lieu, oublié la prééminence du langage et sa nécessaire instrumentalisation dans la construction psychique du lien pervers entre le sadique et sa victime. Mis à part quelques mails insipides échangés mais plombés par le pesant réalisme de leur contenu, la piètre qualité littéraire de l’ouvrage dévoile la regrettable confusion de l’auteur entre l’excitation d’un "dire" sur la primitivité des sens et la vulgarité de l’expression. Des sens qui négligent, dans cette perspective, celui de l’odorat tristement réduit à du "linge frais et du gel douche". L’auteur devrait relire Le Parfum de Patrick Süskind.

Malgré son titre, Cinquante nuances de Grey se trompe de cible: le héros n’est ni le richissime et retors Christian Grey, encore moins la soit-disant "oie blanche" d’Anastasia Steele. Le véritable héros, c’est le contrat: texte indispensable et condition sine qua non destinés, comme le rappelle le Marquis de Sade, à "mettre des principes à nos désordres". Inspirés par Léopold Von Sacher-Masoch et étudiés par Richard Von Krafft-Ebing dans son ouvrage Psychopatia Sexualis de 1886, les "contrats" - entre le "dominant" et la "soumise" dans le roman de EL. James - définissent le cadre synallagmatique entre deux inconscients qui autorise sous seing privé la pire des transgressions dans le plus pur respect de la norme. L’une ne saurait aller sans l’autre.

Ce contrat-loi demeure l’axe central autour duquel se déploie ou se rétracte la répulsion-attraction des personnages. Contrat dont l’acceptation scelle le passage initiatique. Certains ont pu y voir une passerelle inattendue - miroir controversé - entre la "présentification du réel" chez Sade (Séminaire VII de J. Lacan) et l’impératif catégorique de Kant (Fondements de la métaphysique des mœurs, 1792): cette "action morale" qui n’a d’autres fins qu’elle-même et qui est susceptible sous la forme d’une maxime d’être érigée par la seule volonté en "Loi universelle de la nature". D’un côté, l’absolu de la jouissance pour elle-même, de l’autre, l’absolu du "vouloir, bon en soi-même", Deux faces, sans doute, d’une même inaccessibilité au bonheur.

Identification chez les Desperate Housewives

Rien de tel dans Cinquante nuances de Grey: manque la volonté autonome en acte paraphant la convention faustienne. L’on demeure dans un éternel entre-deux, un "boudoir" qui ne serait pas l’espace métaphorique séparant, comme chez Sade, la chambre où l’on fait et le salon où l’on en cause: aucun des deux personnages ne s’accomplit vraiment. Ce qui étiole, sinon rend invraisemblable, la valeur dramaturgique sadomasochiste. Le pervers tombe amoureux de sa victime, suggérant un démenti de la clinique de cette perversion où l’esclave deviendrait le maître de son "dominant". Et où ce dernier, loin de rabaisser "la soumise" ou "la bâtarde" à une atomisation obéissante de l’objet réduit à un strict polymorphisme musculaire, accepte finalement de prodiguer à l’autre la jouissance féminine dans un dualisme contraint. Et exclusif de tout autre initiateur. En dépit des indispensables prolégomènes - les fantasmes angoissés et culpabilisants des préliminaires chez Anastasia sont un facilitateur d’identifications pour toutes les classes de "desperate housewives" -, la "rencontre" masochiste n’a, semble-t-il, pas lieu: Grey humilie et domine sans infliger de la douleur ("je ne veux pas te faire de mal" dit-il) et son agressivité limitée à sa pulsion d’emprise s’arrête sur le seuil du sexuel (Freud, Pulsions et Destins des pulsions, 1915). L’homme ne jouit que d’une génitalité ordinaire tant le "masochisme érogène" d’Anastasia ne s’est pas, dans ce premier tome en tout cas, "retourné contre son auteur" pour lui permettre de s’identifier sexuellement avec l’objet souffrant (Freud, Du problème économique du masochisme, 1924). Tout au plus l’irruption perturbante de la mère de Christian Grey apporte-t-elle un éclairage sur le caractère défensif de son sadisme. La pauvreté de l’écriture ne parvient même pas à susciter chez le lecteur cette "inquiétante étrangeté" dans les deux caractères: ni lorsque lui admet son ambiguïté à l’égard du sexe féminin ni lorsque la jeune fille accentue "la réalité psychique par rapport à la réalité matérielle" (Freud, 1919).

Alors pourquoi tant d’engouement pour cet à-peu-près pornographique? Sans doute faut-il y voir, outre la désolante banalité de la misère hystérique, la dimension sous-jacente d’une imago idéalisée, mythique de la sexualité féminine, toujours en quête d'une réponse à son énigme. "La rue, fief des mâles" titrait récemment une étude sociologique sur la domination masculine de l’espace public. La littérature érotique, gynécée des râles?










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